Jean-Pierre Rioux, historien de renom, nous propose à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, une biographie très originale centrée sur la mort au combat du lieutenant de réserve Charles Péguy. Le célèbre écrivain, intellectuel dreyfusard, socialiste dans sa jeunesse et converti au catholicisme, est aussi un patriote intransigeant acceptant avec abnégation et enthousiasme de partir au front dès la mobilisation.
L’auteur montre combien le lieutenant Péguy, bien qu’ayant déjà dépassé la limite d’âge qui lui aurait permis de rester en deuxième ligne, est un officier de valeur, proche de ses hommes, attentif à les conduire avec la plus grande efficacité contre « l’ennemi boche ». Il souligne aussi à la fois la cohérence de l’homme, poète, intellectuel, officier et chrétien, dont les derniers jours illustrent bien ce parcours riche, complexe et tellement lié à l’histoire de notre pays. Fils de la défaite de 1870 et de la IIIe République conquérante, il en est au final l’archétype.
En l’espace de six semaines à peine, il va connaître la campagne de Lorraine puis la retraite vers Paris et les journées harassantes entre Oise et Marne, au moment où les troupes allemandes sont à la portée de Paris. Il meurt au tout début de la bataille de la Marne au cours d’un accrochage où sa compagnie va connaître un taux de perte de l’ordre de 40 %.
Tout l’art de l’historien est ainsi de faire revivre ces jours de marches sous le soleil ou la pluie, l’attente vaine de l’ennemi, l’absence d’informations et malgré tout, un lieu- tenant Péguy toujours ardent à soutenir la troupe dans les épreuves. Et de retracer aussi tout le parcours de l’enfant d’Orléans, instruit par les « hussards noirs » de la République, formule qu’il inventât, intellectuel engagé dans tous les combats de sa génération, entre l’affaire Dreyfus et la montée des périls en Europe à cause de l’antagonisme avec l’Allemagne impériale. J.-P. Rioux analyse également avec brio la posté- rité intellectuelle de Péguy, revendiquée à gauche et à droite selon des approches bien différentes mais trop superficielles. Et si le régime de Vichy a abondamment puisé dans une partie de l’œuvre de Péguy pour justifier sa Révolution nationale, il ne faut pas oublier que le jeune Charles de Gaulle s’est aussi nourri de la pensée du Normalien. De même, une partie des cadres de la IVe République, se revendiquant de la démocratie chrétienne, s’inspira du pèlerin de Chartres. Et, comme le souligne l’auteur, le personnage de Péguy reste inclassable, hormis sa Foi en la France et en l’Espérance.