Jacques Hogard livre avec cet ouvrage le témoignage personnel de son déploiement au Kosovo en 1999 en tant que commandant du groupement interarmées des forces spéciales françaises.
Saint-cyrien, ce colonel parachutiste de la Légion étrangère partage avec le lecteur les opinions qu’il s’est forgées sur le terrain, à rebours de ce qu’il décrit comme une « désinformation massive » menée par Washington et relayée par les États européens et les médias « politiquement corrects ».
Fort d’une expérience considérable en Afrique, l’auteur a su combler ses lacunes sur la situation dans les Balkans par ses lectures et le retour sur son histoire personnelle, puisqu’il dédie son livre à son grand-oncle tué en Macédoine durant la Première Guerre mondiale. Entrant en République fédérale de Yougoslavie avec les troupes de l’Otan le 11 juin 1999, après deux semaines de bombardements contre les forces serbes dans la région du Kosovo, l’auteur fournit un récit qui appuie ses impressions préliminaires sur la complexité de l’opération.
La Kosovo Verification Mission, missionnée en tant qu’observateur de l’ONU avant l’intervention, était déjà infiltrée par des agents des services spéciaux des grandes puissances de l’Otan, comme le confirmera plus tard à l’auteur le numéro 2 de la mission, le Français Gabriel Keller. Très tôt, le BSD, les services secrets allemands, a entraîné les forces de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) ensuite financées et équipées par l’Otan. Et la désinformation n’a fait qu’empirer à mesure que les forces internationales avançaient au Kosovo selon les termes de l’accord militaire technique conclu avec le gouvernement de Belgrade le 9 juin 1999. Alors que les Serbes étaient accusés par le président des États-Unis, Bill Clinton, de se livrer à « un génocide de plus de 100 000 morts » contre les Albanais, Jacques Hogard a surtout été témoin d’actes de pillage et d’exactions commises par les forces de l’UÇK, avec le silence, voire la complicité des forces étrangères. Il relate ainsi l’exemple révélateur de l’intervention des troupes françaises pour stopper l’attaque d’un convoi de civils serbes par l’UÇK à Kotare le 17 juin qui lui vaudra un appel du général britannique Mason le sommant d’arrêter de faire feu sur ses hommes des forces spéciales, déployés avec les rebelles albanais. L’Otan annoncera d’ailleurs en 2000 le chiffre de 4 000 tués, pour les deux camps confondus. En réalité, le pouvoir serbe a perdu la guerre de la communication sans même la mener. Accusés de génocide, les Serbes accepteront le principe du déploiement d’une force internationale qui ne soit pas otanienne pour prouver le contraire mais leur refus d’un texte que l’Américain Henry Kissinger lui-même a décrit comme une véritable provocation conduira aux bombardements et à l’intervention de l’Otan.
Sur le terrain, les forces internationales doivent faire respecter la résolution 1244 de l’ONU en faisant cesser les violences. Mais l’établissement d’une ligne de démarcation entre le Nord encore peuplé d’une majorité de Serbes et le Sud albanais ne satisfait aucun des deux camps. Cependant, contraints par la présence des forces internationales, les forces armées serbes devront céder le terrain aux rebelles de l’UÇK. Défaite sur le terrain, l’organisation est victorieuse politiquement avec le soutien des États-Unis et peut renforcer sa mainmise sur le pouvoir au sein de la population albanaise, y compris par des assassinats comme celui du député albanais au Parlement serbe Serafedin Ajetin, opposant à l’UÇK, qui restera impuni malgré les preuves trouvées par l’auteur en arrêtant des pillards de la résistance albanaise. Il insiste d’ailleurs sur la nature mafieuse de l’UCK, considérée comme une organisation terroriste et criminelle jusqu’en 1998 par les États-Unis. Le sinistre trafic d’organes prélevés sur les prisonniers exécutés dénoncé par l’ancienne juge du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie, Carla Del Ponte, ou le rapport du juge suisse Dick Marty mettront en lumière les pratiques criminelles de la rébellion. Il est en outre révélateur que l’accord de 1999 prévoyant aussi le désarmement de l’UÇK n’ait jamais été respecté, l’organisation poursuivant ses crimes contre la population albanaise aussi bien que contre les minorités roms ou serbes.
Pour Jacques Hogard, l’Otan, et donc les États-Unis, n’avaient que faire de la souveraineté de la Serbie garantie par les accords sur la coopération et la sécurité en Europe ainsi que par la résolution 1244 de l’ONU. Leurs objectifs étaient d’affaiblir la Yougoslavie tout en s’implantant dans la région en créant un État pratiquement vassal, en témoigne la construction du Camp Bondsteel qui a abrité jusqu’à 7 000 soldats dans les années 2000. L’Allemagne, elle aussi fortement impliquée, y voyait un moyen de renforcer son influence en Europe de l’Est. L’auteur condamne avec virulence le suivisme de la France et du Royaume-Uni, qu’il voit comme une honte pour l’Europe, qui a abandonné une province historiquement proche, depuis la résistance des chevaliers chrétiens face à la poussée ottomane à la bataille du Champs des Merles en 1389 jusqu’à la résistance au nazisme des tchetniks et de Tito. Cette histoire partagée a produit une amitié forte entre la France et la Serbie en particulier, forgée dans le feu de la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, les Serbes ne comprendront pas la participation de la France à cette opération et l’évocation de cette amitié historique aidera considérablement l’auteur dans ses rapports avec les autorités yougoslaves.
Au terme de son passage au Kosovo, Jacques Hogard a gardé un fort ressentiment contre des puissances coupables d’une désinformation considérable afin de servir leurs intérêts propres. Il concède respecter les Serbes, hommes de paroles rigoureux malgré les difficultés, bien plus que les Albanais, en particulier les rebelles de l’UÇK défaits mais sauvés par les États-Unis. Il questionne d’ailleurs la version officielle du déclenchement de l’opération, les exactions ayant menées aux bombardements étant selon lui probablement surtout l’œuvre de l’UÇK. L’auteur honore aussi les soldats français qui ont été déployés à ses côtés et qui ont fait sa fierté en s’efforçant de protéger les populations civiles dans ces difficiles conditions politiques. Il dresse un bilan négatif des conséquences de l’intervention qui ont mené à une division par 6 du nombre de Serbes présents au Kosovo avant l’intervention de 1999, notamment à cause des pogroms antiserbes de 2004 dénoncés par Human Rights Watch. Il donne d’ailleurs peu de crédit au nouvel État du Kosovo, indépendant depuis 2008, en manque de ressources et victime de l’opposition paradoxale entre un « berceau de la Serbie » historiquement et culturellement orthodoxe et la population albanophone majoritairement musulmane. Il prédit même sa disparition, que ce soit au profit de la Serbie ou de l’Albanie selon le camp qui l’emportera.
Au-delà des seules conséquences régionales, c’est « l’Europe qui est morte au Kosovo » pour l’auteur. En se rendant complice de ce qu’il qualifie de crime envers la Serbie, l’Europe a enterré ses principes d’humanisme et ses racines chrétiennes qui fondent la construction européenne. Cette attitude fait même craindre une balkanisation du continent en remettant en cause des frontières théoriquement garanties. Comme l’affirmait Jean-Pierre Chevènement, sénateur et ancien ministre de la Défense de la France, il s’agit en outre d’une intervention européenne ouvertement agressive aux portes de la Russie, ce qui fait craindre le retour de tensions qui semblaient s’apaiser depuis la fin de la guerre froide.