Ancien directeur de l’AFP pour le Proche-Orient, auteur du classique Les Palestiniens – Genèse d’une nation (2003) et de l’Atlas géostratégique du Moyen-Orient (en collaboration avec Pierre Vallaud, 2010), Xavier Baron livre un ouvrage dont la lecture fournira bien des clefs pour comprendre la situation de ce pays charnière.
On le voit, le drame actuel que traverse la Syrie est l’expression brutale de frustrations accumulées depuis près d’un siècle, et exacerbées depuis une génération, en particulier la charnière des années 1970-1980, lorsque Hafez El Assad, le « Bismarck » du Proche-Orient, a imposé sur ce pays multiethnique et multiconfessionnel sa main de fer et est intervenu au Liban, en se situant à la charnière de tous les conflits qui ont ensanglanté la région (guerres israélo-arabes, mouvement palestinien, guerre Iran-Irak, guerres du Golfe).
Même si le pays a donné l’apparence de la stabilité, un conflit implacable a opposé dès les années 1970 le pouvoir aux Frères musulmans, émanation de la majorité sunnite, pour qui les Alaouites (12 % de la population), installés au cœur du pouvoir, sont des hérétiques. La répression à Hama, en 1982, n’a été que la répétition générale du conflit qui a éclaté en mars 2011.
Située au cœur du Proche-Orient, la Syrie a été en conflit avec pratiquement tous ses voisins. Tour à tour Israël, mais aussi l’Irak (en 1979), la Turquie (on n’a jamais pardonné à la France de lui avoir offert le sandjak d’Alexandrette), les Palestiniens, curieux amis, partenaires-adversaires, le Liban, dont l’indépendance n’a jamais été reconnue, et parfois avec l’Égypte et la Jordanie. Sans compter sur la crise quasi permanente avec les États-Unis qui a donné lieu à une série de sanctions économiques.
Il n’est pas étonnant que les seules alliances stables aient été celles nouées avec l’URSS dès les années 1960, puis l’Iran après l’arrivée de Khomeiny. Il n’est pas étonnant non plus que ces multiples querelles et conflits ont renforcé le caractère ombrageux du nationalisme dont la Syrie a été le berceau au début du XXe siècle.
Le pouvoir alaouite, qui s’est appuyé sur ses siloviki (hommes issus de l’armée, de la police et des forces de sécurité) n’a pu échapper à la phobie de l’isolement et a renforcé sa tendance à se constituer en forteresse. Mais au sein de ce pays malmené par l’Histoire, si le pouvoir des Al Assad a su se perpétuer c’est qu’il a su tisser un réseau complexe de fidélités, d’alliances, d’intérêts croisés, un tissu constamment entretenu, surveillé, réparé… Les quelque soixante-quinze pages qui constituent les deux chapitres (« Les années difficiles », et surtout « Le drame » qui couvre la période postérieure à 2011) fournissent une information détaillée et éclairante sur l’imbroglio syrien. Dès la fin 2012, le médiateur de l’ONU, qui a succédé à Kofi Annan, Lakhdar Brahimi, avait averti que « le risque était grand de voir la Syrie se transformer en champ de bataille régional et être la proie d’acteurs dont les objectifs n’ont rien à voir avec la crise syrienne ».
Dans ce pays éclaté, l’action militaire du régime fonctionne comme une combinaison de guerres : une « guerre classique » menée par l’armée gouvernementale et une contre-guérilla alimentée, entre autres, par l’expertise militaire du Hezbollah ou d’Al-Qods (les forces spéciales), le fer de lance des Pasadarans iraniens.
Face aux mouvements djihadistes, le Front Al-Nosra et l’EIIL, qui se sont affrontés avant de se réconcilier du fait des bombardements de la coalition pro-occidentale, les « modérés » de l’ASL (Armée syrienne libre) ou autres groupes « laïcs », semblent avoir disparu du paysage.