La libération totale du territoire français en métropole ne s’est achevée qu’avec la capitulation allemande du 8 mai 1945. En effet, malgré le départ des troupes allemandes se repliant vers le Reich après la fin de la bataille de Normandie en juillet 1944, des poches de résistance se sont formées autour des ports formant des camps retranchés regroupant soldats et marins allemands bien décidés à combattre, mais aussi des civils français pris au piège.
Ces poches de l’Atlantique – sans oublier Dunkerque – ont donc subi les combats jusqu’aux derniers jours de la guerre alors même que l’essentiel du territoire était déjà rentré dans la phase de reconstruction. L’intérêt de cet ouvrage est donc de retracer ces batailles non décisives et bien oubliées dans la mémoire nationale, alors même qu’elles mobilisèrent près de 75 000 combattants français durant des mois pour obtenir la reddition des Allemands.
Malgré une lecture parfois un peu ingrate des combats, plusieurs points ressortent de ce livre très fourni. Ainsi, il faut souligner l’acharnement allemand à ne pas céder alors même que les situations tactiques sont désespérées. Les sièges sont hermétiques, avec seulement quelques liaisons aériennes ou maritimes. Malgré la certitude de la défaite inéluctable du Reich [1], les chefs militaires ont refusé avec opiniâtreté toute négociation – hormis des trêves pour évacuer les civils – au point que Saint-Nazaire ne sera rendu aux autorités françaises que le 11 mai, soit trois jours effectifs après la signature effectuée à Reims.
Un autre aspect est la destruction systématique des installations prochaines, exceptée à La Rochelle. Tous les autres ports voient leurs infrastructures sabotées, y compris dans les derniers jours avant la chute, obligeant à l’issue un très long et ingrat travail de déminage auquel les Allemands – cette fois-ci prisonniers – seront bien contraints de participer.
Il s’agissait, certes, d’un front secondaire en Europe, mais à forte valeur symbolique pour la France. Ainsi, le général de Gaulle a-t-il d’emblée voulu que la reconquête de ces « forteresses » soit l’œuvre de l’armée française. Entre les échecs incertains de la libération de ces zones à l’été 1944, il fallut peu à peu mettre en place des dispositifs d’interdiction avec des troupes souvent issues des FFI et des FTP, valeureuses mais mal entraînées et mal armées. La constitution d’unités régulières encadrées par des officiers d’expérience prit un certain temps. De plus, l’absence d’appuis d’artillerie, alors même que les Allemands disposaient d’une artillerie de gros calibre et à longue portée très efficace. L’effort fait pour mettre sur pied des structures militaires efficaces a été long et difficile, dans une période où la priorité des Alliés restait la conquête du Reich, l’idée étant donc de contenir ces poches en attendant leur chute, inéluctable. Pour les autorités françaises, il n’était pas question d’attendre passivement dans un statu quo ambigu, mais bien d’exercer une pression permanente en vue de libérer ces villes. À condition de pouvoir avoir un rapport de force favorable sur le terrain pour que les attaques soient utiles.
Ce climat de tension autour des poches a également été accentué par la question des populations civiles prises en otage et soumises à des conditions de vie particulièrement éprouvantes. De plus, le traumatisme des bombardements, notamment à Royan, Brest ou Le Havre, avec les villes rasées, a accru la détresse des survivants. Il faut cependant souligner que certains canaux humanitaires purent être établis avec des officiers allemands permettant dès lors quelques évacuations et ravitaillements. Nul doute qu’une étude approfondie sur ce sujet serait très pertinente.
Il fallut donc attendre de longs mois de préparation, sous l’autorité du général de Larminat, pour que la campagne de l’Atlantique puisse être déclenchée à partir du 14 avril et avec de réels succès permettant ainsi de libérer les derniers restes du pays encore occupés par les Nazis. La conquête successive de ces poches a été au final bien conduite avec, à chaque issue finale, l’exigence allemande d’une reddition formelle et encadrée. Demande que les Alliés ont acceptée sans trop rechigner car cela permettait aussi de montrer que l’armée française en participant à ces actes officiels avait toute sa légitimité et incarnait la souveraineté nationale si chère au général de Gaulle.
Soixante-dix ans après la chute des poches de l’Atlantique, ce livre est donc tout à fait pertinent – malgré quelques défauts – et contribue à revenir sur une bataille oubliée et ingrate, mais qui était nécessaire pour que la France puisse pleinement retrouver sa liberté.
[1] Ian Kershaw : La Fin, Seuil, 2012. L’auteur souligne que les Allemands ont combattu jusqu’à l’effondrement final du Reich avec le soutien quasi inconditionnel de l’opinion publique.