Pierre Milza est depuis des années un de nos meilleurs historiens spécialiste de l’Italie contemporaine. Ses travaux, notamment sur le fascisme, font autorité. Ses biographies sur Mussolini et Garibaldi constituent des références incontournables pour qui s’intéresse à l’histoire italienne. Son dernier livre consacré au pape Pie XII (1876-1958) est à cet égard un travail exemplaire et sera lui aussi un « must ».
En effet, l’objectif de l’auteur reste celui de l’historien avec toute la rigueur nécessaire pour aborder sans passion un personnage essentiel de l’histoire du XXe siècle et que des critiques à charge et conduites avec partialité ont largement entaché à partir des années 1960. Le mérite de Pierre Milza est donc d’étudier Eugène Pacelli non sous un angle idéologique ou spirituel mais bien sous un angle objectif. Et le résultat est à la hauteur.
Soulignons ici que la Revue Défense Nationale s’est intéressée avec raison à Pie XII à travers son rôle dans les relations internationales, en particulier par rapport à l’URSS.
Il serait quasiment impossible de pouloir résumer en quelques lignes cette biographie dense (470 pages) d’un homme qui vécut 80 ans et régna 19 ans sur le trône de Saint Pierre alors que la Seconde Guerre mondiale allait débuter et qui s’achève en pleine guerre froide. Il serait cependant trop limitatif de réduire l’action d’Eugène Pacelli uniquement à son pontificat et d’oublier son parcours, de sa jeunesse à son élection en mars 1939. De même, qu’il faut le replacer dans le vécu de l’Église romaine au cœur d’un Royaume d’Italie en pleine mutation.
En effet, Rome est à la fois la nouvelle capitale d’une Italie qui venait d’achever son unification en 1871 et le siège d’une papauté qui a perdu son pouvoir temporel : elle doit ainsi complètement revoir son rôle politique tant nationalement qu’internationalement. C’est tout le mérite de cet ouvrage de décrire ainsi cette évolution permanente du Vatican, voulue ou contrainte, subie ou souhaitée. Il faut souligner que le jeune Eugène Pacelli est né à Rome et a toujours été attaché à sa ville natale, y compris durant les heures les plus sombres de la guerre où il alla à la rencontre des victimes des bombardements. Il y a un contraste entre l’image d’un Pape austère, distant et une vraie dimension pastorale auprès des souffrants ; et ce contraste s’est reflété dans l’action du prélat puis du Saint Père confronté à de nombreuses crises, en commençant par les tentatives de révolution bolchevique lorsqu’il est jeune nonce apostolique à Munich.
Effectivement, le parcours d’Eugène Pacelli l’a confronté à toutes les turpitudes que l’Europe a connues au cours de cette longue période. Sa formation de diplomate, associée à une énorme capacité de travail et une connaissance réelle du monde développée par de nombreux voyages (notamment sur le continent américain), lui ont permis de mesurer les enjeux géopolitiques auxquels l’Église catholique était confrontée. Face à la montée des périls et notamment le nazisme et son antisémitisme, le futur Pape était bien conscient des dangers et des menaces. Toute la difficulté, et en particulier durant les premières années de son pontificat – correspondant à la guerre – a été de trouver la voie la plus efficace pour condamner les crimes nazis tout en cherchant à préserver au mieux les intérêts de l’Église, y compris pour la sécurité des catholiques. Tâche quasi insurmontable face à un régime totalitaire bien décidé à éliminer tous ses adversaires à commencer par les Juifs. À Rome, ceux-ci bénéficièrent de l’attention toute particulière de Pie XII pour qui l’antisémitisme souvent affichée par l’Église catholique n’avait plus lieu d’être. Son action – par nature, discrète – fut efficace et impliqua de nombreux acteurs. Le fait qu’elle fut reconnue par Israël montre bien que le procès intenté en 1963 avec la pièce de théâtre du dramaturge allemand Rolf Hochhuth, Le Vicaire, était exclusivement à charge.
Après la guerre, l’autre grande fracture fut celle du communisme dans sa version stalinienne, imposé brutalement à une grande partie de l’Europe avec un rideau de fer transformant les Catholiques – comme en Pologne – en ennemi du Régime. Condamner définitivement ou essayer de trouver une voie de dialogue, tel a toujours été le dilemme de Pie XII en espérant toujours préserver les Églises face aux violences politiques de son époque.
Indéniablement, cette biographie est une belle réussite – quelles que soient les convictions du lecteur – sur un acteur important d’histoire contemporaine, injustement calomnié et oublié.