La crise des migrants que connaît l’Europe depuis trois ans a réveillé de vieux démons nationalistes et populistes dans plusieurs pays de l’Union, en particulier chez les nouveaux États-membres issus de la dislocation du Pacte de Varsovie et qui ont fait de l’exclusion un argument électoral. L’Allemagne, qui a ouvert généreusement son territoire au nom de valeurs morales et éthiques en accueillant environ un million de réfugiés, a vu en quelques mois une remise en cause de cette politique généreuse conduite par la Chancelière Angela Merkel.
Entre les violences sexuelles commises dans plusieurs grandes villes allemandes le 31 décembre dernier avec une accusation portée à l’encontre des migrants et les progrès électoraux du parti d’extrême-droite Alternative Für Deutschland, la crainte de voir resurgir désormais un nouveau racisme inquiète, d’autant plus qu’il s’agit de l’Allemagne, encore porteuse de ce Péché originel qu’a constitué le nazisme.
Cette question reste et continuera à hanter toute réflexion sur l’Allemagne, d’autant plus que les derniers « acteurs » du nazisme encore vivants étaient au mieux adolescents, voire enfants lorsque la guerre débuta. Quelle responsabilité peut-on attribuer à un adolescent de 15 ans en 1944, alors même qu’il fut éduqué dans un système totalitaire ?
Cette interrogation posée aujourd’hui est celle de ce livre avec une approche particulière mais passionnante sur les enfants des dignitaires nazis les plus importants, pour comprendre comment ceux-ci ont-ils vécu cette filiation culpabilisante pour les uns, objet de fierté pour les autres.
À travers les portraits de plusieurs familles de hauts responsables comme d’acteurs secondaires – Himmler, Göring, Hess, Franck, Bormann, Höss, Speer et Mengele –, se dresse le portrait maléfique de leurs pères, voire de leurs mères, où l’ambition, la cupidité et l’absence d’humanité ont guidé leurs agissements tout au long des douze ans que dura le IIIe Reich. Avec pour certains, un comportement de bons pères de famille attentifs à l’éducation de leurs enfants, conformément aux analyses de Hannah Arendt lors du procès Eichmann à Jérusalem en 1961. Ces enfants ont été éduqués dans l’opulence et dans l’ignorance des réalités barbares du régime nazi, comme la famille Höss qui vivait à Auschwitz et dont le père en assurait le commandement. La chute n’en fut que plus brutale avec l’effondrement total de leur univers, la découverte progressive des crimes commis par leurs pères et l’exclusion partielle au sein d’une société allemande qui devait se reconstruire et expier sa faute. L’assumer fut impossible pour certains comme Güdrun Himmler qui restera active tant dans la défense de son père et les réseaux des anciens nazis que dans le soutien à l’idéologie nationale-socialiste de certains groupuscules néo-nazis. Pour d’autres, ce fut une épreuve permanente et douloureuse, souvent aggravée par l’absence forcée du père (exécuté ou en fuite), déformant l’image paternelle.
Dans tous les cas, le poids de l’Histoire a pesé sur leurs frêles épaules d’enfant et sur leur vie d’adulte, prolongeant de fait la tragédie nazie au sein d’une Allemagne culpabilisée mais qui voulait oublier cette tragédie dans sa reconstruction, du moins pour la République fédérale d’Allemagne, tandis que la RDA se voulait totalement exempte de responsabilité. À l’heure où les derniers acteurs disparaissent laissant tomber des barrières morales au risque de banaliser demain le totalitarisme nazi, il est important à travers ces histoires de famille de se rappeler que l’Histoire reste tragique et qu’il ne faut jamais en oublier les leçons.