La négociation, écrit Georges-Henri Soutou, est le sommet de la diplomatie. C’est une science qui a ses règles et ses références. Son étude – qui s’est systématisée – relève de disciplines diverses : la théorie des jeux qui évalue les gains potentiels des joueurs, la sociologie qui dégage des lois générales liées à leurs positions sociales et leurs intérêts réels, la science politique et la psychologie. Mais c’est peut-être l’histoire qui permet au praticien de tenter de dégager au mieux des enseignements des grandes négociations du passé.
Quoi que l’on pense de l’évolution du métier de diplomate, de l’accélération des communications, de la prodigieuse multiplication des rencontres entre responsables politiques, il sera toujours nécessaire, comme l’affirmait Hubert Védrine, en inaugurant l’Institut diplomatique et consulaire du Quai d’Orsay en 2001, d’« avoir un corps de spécialistes polyvalents de la négociation en soi ». Disons-le tout de suite, cela n’est nullement l’exclusivité du diplomate, sans avoir à se référer à la négociation sociale, l’usage de la négociation est tout aussi utile au général, au préfet, au banquier ; aucun corps de l’État n’en détient le monopole exclusif. Mais peut-on tirer des enseignements des négociations d’hier pour former le négociateur d’aujourd’hui ? Qu’y a-t-il de commun entre le Camp du Drap d’Or de l’an 1520 et un Sommet franco-allemand ? Pour les auteurs de ce riche ouvrage collectif, la réponse mérite à peine d’être posée. On y trouvera des descriptions fouillées de grandes négociations de l’époque antique jusqu’à celle sur le nucléaire iranien dans sa phase initiale (2002-2003). Il s’agit d’une palette historique extrêmement riche où l’on rencontre des souverains, des princes, des prélats, mais aussi un général Gouraud qui négocia avec Fayçal avant la bataille de Damas en 1920.
Il est certain que depuis ces lointaines origines, les conditions et modalités de la négociation ont évolué. D’abord son champ est devenu illimité, car elle touche toutes les activités humaines. On a assisté à la multiplication du nombre des acteurs, avec les 193 membres de l’ONU. La transparence s’est généralisée avec la montée en puissance du multilatéralisme, le progrès de la justice pénale internationale et surtout l’accélération des communications ; ce qui pose des problèmes d’archivage et de prolixité, alors que les négociateurs des traités de Westphalie attendaient quinze jours leurs instructions. Mais à y regarder de plus près les différences n’apparaissent pas si amples. Au congrès de Münster et d’Osnabrück (1645-1648) 194 souverains furent représentés par 179 négociateurs, et 27 princes allemands ont signé le Traité de Münster. On peut faire remonter l’origine du multilatéralisme à la conférence d’Arras, de 1435, premier grand congrès européen qui rassembla quelque 5 000 participants.
En définitive, la négociation dans son essence, n’a pas varié : il s’agit toujours de négocier avec l’autre jusqu’à trouver un terrain d’entente, et faire en sorte, comme le préconisait Talleyrand, que ses concessions lui soient présentées comme des gains. La clé de toute négociation reste l’imagination, comme le conclut l’ambassadeur François Plaisant, elle est l’exercice de droits sur les terres, les hommes et les richesses. Tant que les robots ou les algorithmes, comme pour les marchés financiers, n’auront pas remplacé l’homme, la négociation oscillera entre l’art du possible et du meilleur. De son côté, la Revue Politique et Parlementaire a consacré son n° 1077 (octobre-décembre 2015) à la « Diplomatie : l’heure du réalisme ? », qui contient une série d’articles stimulants portant sur les grandes questions internationales. Charles Zorgbibe, professeur émérite à la Sorbonne, introduit le dossier par un article de fond « La diplomatie française, de Talleyrand à de Gaulle », qui reprend la thèse qu’il avait exposée dans son ouvrage publié en 2012 aux Éditions de Fallois, toujours d’actualité, Talleyrand et l’invention de la diplomatie française. En s’opposant aux décisions des Quatre vainqueurs de la France, de 1814 (Russie, Autriche, Angleterre et Prusse), Talleyrand a su faire de la faiblesse de la France, une force. Faut-il y voir pour autant, la marque d’un style diplomatique français resté immuable durant les âges. « Un style qui se manifesterait, de manière heurtée, par des coups de boutoir, une certaine arrogance, et un certain panache, une démonstration de cartésianisme, un discours logique, la place faite au raisonnement déductif, qui exprimerait la nostalgie d’une ancienne grande puissance, au statut diminué, mais qui éprouve toujours le désir d’être traitée comme un Grand et qui s’essaie à une stratégie de rassemblement des petits et moyens États contre la puissance dominante ». Certes, un tel style a pu être, celui du général de Gaulle, désireux de restaurer le rang de la France, mais bien de ces arêtes ont été depuis rabotées. Comment ne pas reconnaître que le style diplomatique est le produit de son époque, du rapport de force existant, des volontés en présence, ce qui nous ramène au cœur de l’art diplomatique, la recherche permanente, du meilleur équilibre entre le souhaitable et le possible.