Il fallait pour présenter l’histoire et l’activité du Conseil, en mettant en évidence « ses ambitions » mais aussi « ses limites », une connaissance approfondie de cet organe, de son adaptation aux évolutions du monde, de ses réussites comme de ses échecs. Cette connaissance, l’auteur l’a acquise au cours de trois séjours à la Mission permanente de la France auprès des Nations unies à New York à des périodes très différentes, mais aussi dans l’exercice des responsabilités de haut niveau qui lui ont été confiées auprès du président Chirac et au Quai d’Orsay.
La richesse de son expérience permet à Jean-Marc de La Sablière de privilégier, selon les chapitres, des approches différentes. Parfois son analyse est juridique ou historique car le souci dominant demeure pédagogique et académique. Dans d’autres chapitres, c’est le récit des négociations qui est mis en évidence. On retrouve dans ce cas l’ambassadeur expérimenté mais aussi le représentant d’un État-membre permanent qui a siégé au Conseil de sécurité lorsque les « cinq » trouvaient les voies d’un travail en commun constructif mais aussi lorsqu’il était paralysé par leur désaccord. C’est peut-être en se remémorant l’époque où il était jeune diplomate, découvrant l’ONU et ses procédures mal connues, que l’auteur s’efforce aussi d’être concret, pratique, en présentant le fonctionnement du Conseil au quotidien. On retrouve enfin le professeur lorsqu’il privilégie le commentaire ainsi que le témoin toujours engagé lorsqu’il nous livre ses analyses prospectives.
Une telle synthèse est originale. Elle complète en France les ouvrages juridiques ou spécialisés sur certains aspects de l’action du Conseil de sécurité, ainsi que les témoignages qui ont été publiés. J’ajouterai que Jean-Marc de La Sablière fait partie des ambassadeurs qui croient aux vertus du multilatéralisme et ont choisi de servir à plusieurs reprises aux Nations unies car ils ont de leur métier une vision humaniste. C’est souvent dans la crise ou à la sortie des conflits que naissent par réaction les grandes réformes. L’urgence et le malheur rendent les hommes plus clairvoyants. La création de l’ONU en juin 1945 n’a pas échappé à cette règle. Les dispositions de la Charte des Nations unies relatives à la sécurité collective et au Conseil de sécurité sont profondément influencées par le souci de corriger les insuffisances de la SDN et par la Seconde Guerre mondiale. Soixante-dix ans plus tard, le Conseil de sécurité, dans un environnement totalement différent, a survécu, rendant des services appréciables à la communauté internationale. C’est un fait remarquable qui ne doit cependant pas occulter ses insuffisances.
À l’issue de vingt-cinq ans de véritable activité, avec un bilan en demi-teinte, on est conduit à s’interroger : quelle est la contribution du Conseil de sécurité à la paix et à la sécurité internationale ? Il ne s’agit évidemment pas de comparer l’incomparable ou de peser l’influence de chacun des éléments qui contribuent au maintien de la paix ou du moins qui évitent plus de turbulence ou de dérapages fatals : les Nations unies et le Conseil de sécurité, la dissuasion entre les grandes puissances, l’interdépendance des économies, la coopération régionale, l’influence de certains États ou groupe d’États, etc. Mais la part du Conseil de sécurité est significative. Pour s’en convaincre, il faut imaginer un monde sans ONU, sans Conseil de sécurité.
Questionner l’existence du Conseil de sécurité revient d’abord à s’interroger sur ce que serait le monde sans le système très imparfait et parfois malmené de sécurité collective. Ne verrait-on pas, à nouveau, comme par le passé, les conflits entre États se multiplier mais aussi des tutelles plus ou moins avouées apparaître, affectant l’indépendance et la souveraineté de bien des États ? En l’absence de règles, les appétits de certaines puissances y compris régionales ne prendraient-elles pas le dessus ? L’usage de la force serait probablement plus fréquent, le règlement des conflits plus difficile encore. Les sanctions adoptées par le Conseil n’ont pas toujours eu l’efficacité souhaitée mais beaucoup d’États les craignent. C’est un outil essentiel de règlement des crises car ces mesures contraignantes ont une portée universelle. Pourrait-on s’en passer ? Pourrait-on se priver de pressions collectives exercées par le Conseil pour soutenir l’AIEA et les autres institutions chargées de surveiller l’application des accords interdisant les armes chimiques et biologiques ? Le monde serait confronté très certainement à des violations plus importantes de ces traités comme du TNP. Quant à la lutte contre le terrorisme, qui repose en partie sur la possibilité d’adopter des mesures ciblées contre des entités et des personnes, sans échappatoire, elle serait rendue plus difficile encore.