Dans ce court essai, l’ancien ministre des Affaires étrangères revient sur certaines idées qui lui tiennent à cœur. Le tenant de la Realpolitik qu’il remet en cause, la notion de communauté internationale qui lui paraît être plus une formule, un objectif à atteindre, voire une illusion qu’une réalité. Certes, admet-il, les éléments constitutifs de la communauté internationale existent.
Au premier chef la Charte de l’ONU et ce qu’on appelle les organisations internationales appartenant oui ou non à la famille onusienne, soit pour cette dernière 180 organisations, quelque 170 000 personnes (dont 16 500 Français), sans parler du G7, G8, G20 ou des 3 milliards d’internautes, soit déjà 42 % de la population mondiale ! Mais tous ces mondes ne forment pas pour autant une « communauté ».
S’il met ainsi en cause la notion de communauté internationale c’est que celle-ci, dans le langage automatique de la sphère politico-médiatique occidentale, désigne une communauté de valeurs qui sont les nôtres, les valeurs occidentales-universelles, dont nous pensions qu’elles devaient inspirer le reste du monde. Certes, il touche là un point sensible, mais est-ce à dire qu’il n’existe pas de valeurs auxquelles toute société humaine organisée reste fidèle. Le droit international public, pour ne prendre que cet exemple, élaboration doctrinale d’origine occidentale, n’a-t-il pas été accepté par tous les membres de la société internationale ? L’arbitrage commercial existait déjà dans l’ancienne Grèce !
Il reste un principe de régulation qui transcende les alignements idéologiques, les types d’organisations économiques, les niveaux de développement. Certes, les Occidentaux, se sont conduits, mais il s’agit surtout des États-Unis, après la chute de l’URSS, comme ceux qui donnent le la, ayant espéré que les autres pays allaient les suivre sur leur chemin tracé. Ne s’agit-il pas en fait d’une querelle plus formelle que réelle ? Depuis le sociologue allemand Tönnies, il est coutume de distinguer la société (Gesellschaft) et la communauté (Gemeinschaft). Dans la première, les rapports entre les individus sont purement fonctionnels, dans la seconde ils reposent sur des valeurs partagées. Ne parlait-on pas du temps de la guerre froide de la communauté atlantique et du bloc soviétique ?
Le bref panorama de la situation internationale auquel se livre l’auteur par la suite ne manque ni de souffle, ni de brio. Jamais depuis 1945, la scène internationale n’a été aussi complexe, instable, indécise où tous les éléments, stratégie, géopolitique, économie, valeurs, cultures, religions, ethnies se heurtent, se combattent, ou sont tout simplement en concurrence. Mais pourquoi diable écrit-il Daesh à l’anglaise et non à la française Daech, C pour el Cham, terme qui durant l’Empire ottoman signifiait la grande Syrie, incluant l’actuelle Syrie, le Liban, la Transjordanie et les territoires palestiniens. En en venant au défi principal actuel en Eurasie et en Afrique, il mentionne l’affrontement mondial au sein de l’Islam entre le 1 % terroriste, au maximum (impossible à calculer, mais c’est pour souligner que c’est un pourcentage infime précise-t-il) et les autres. 1 % un pourcentage infime ! Si l’on prend en compte l’ensemble de la population musulmane, soit 1,4 milliard de personnes, cela fait tout de même 14 millions ! N’est-ce pas 0,01 % qu’il aurait fallu écrire, soit déjà 120 000 terroristes. Le diable est dans les détails disent nos amis allemands. Mais faut-il s’arrêter à de tels vétilles ? Seul le message importe, à savoir les djihadistes, qu’il ne convient pas de confondre avec les salafistes, quiétistes ou politiques, ne sont qu’une infime minorité. Infime, mais quel défi représente-t-elle !
Puis délaissant le domaine de la géopolitique, Hubert Védrine fait son entrée dans celui de la géoécologie, sorte de nouvel horizon qui seul permettra à ses yeux la rédemption de l’humanité. Puisque l’humanité n’a pas été capable de forger une véritable communauté internationale dans le domaine géopolitique ou économique où c’est la compétition et les conflits qui prévalent, alors le salut ne peut provenir que de la prise de conscience écologique. C’est, argumente-t-il, force exemples à l’appui, en prenant conscience que notre planète est en danger, que la machine climatique se dérègle, que la biodiversité se dégrade, que s’épuisent les ressources naturelles, que s’uniront les habitants du vaisseau Terre enfin d’assurer leur survie collective, et parviendront ainsi à créer la communauté internationale jusque-là introuvable. Alors l’opulent et arrogant Occident sera conduit à un compromis avec the rest, les émergents et les autres. « Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre » affirme le grand historien britannique Arnold Joseph Toynbee (1889-1975) dans La Grande Aventure de l’humanité. Sachons gré au créateur de la formule de la diplomatie « gaullo-mitterandienne » de nous indiquer la voie qui nous évitera le suicide collectif.