Les nombreux travaux sur les armées africaines divisent les chercheurs et les disciplines (cf. Abrahamsen 2013, Augé, Gnanguegnon 2015, Hugon 2016). Sur le plan historique y a-t-il continuité ou rupture entre les périodes pré coloniales, coloniales et post coloniales ? Lors des indépendances, les armées ont-elles été actives ou passives dans la construction des jeunes États ?
Les rapports que les armées entretiennent avec le pouvoir politique et avec la société doivent-ils être analysés en termes d’acteurs ou d’institutions ? Les déterminants des transformations ou des avatars des armées sont-ils endogènes et ancrés dans des trajectoires nationales, ou sont-ils externalisés et principalement liés aux jeux de puissances extérieures et au contexte international ? Les études de cas nationales sont-elles les plus pertinentes ou faut-il établir des typologies qui gagnent en généralité ce qu’elles perdent en précision descriptive ou analytique ? Quelle est la discipline la plus à même de répondre à ces questions ? Si les différentes approches sont intéressantes, elles ne sont pas qualitativement exclusives l’une de l’autre ; une des raisons pour lesquelles une présentation globale des enjeux liés aux armées africaines contemporaines semblent ici pertinente.
L’ouvrage dirigé par Saïd Haddad traite du rôle des armées dans les révolutions arabes que certains ont désigné sous le nom de Printemps arabes. Il montre comment les relations des forces armées avec l’État et la société ont varié dans le monde arabe au cours du temps. Il présente également la variété des configurations allant d’une neutralité des forces armées vis- à-vis des mouvements sociaux et du politique (cas de la Tunisie) à une soumission au pouvoir politique voire avec sa confusion avec ce pouvoir (cas de l’Egypte ou de l’Algérie). Les armées peuvent être différenciées : leurs degrés de proximité avec les populations rurales et urbaines, leur rôle dans les révolutions sociales et économiques ou leurs relations avec les mouvements étudiants ou les protestations populaires. Elles ont également des relations avec la société qui diffèrent selon les divers corps et les grades. Lors des « Printemps arabes et africains », la proximité de l’armée tunisienne, égyptienne a contrasté avec la position des armées algérienne et marocaine fidèles au régime. Les armées sont les armatures des Etats, par leurs structures officielles et parallèles ; elles sont les reflets des sociétés (et de leur capacité financière ?) tout en contribuant également à les façonner.
Les typologies proposées par les auteurs peuvent être mises au regard d’autres modèles politico militaires (Daguzan 2012, Perlmutter 1981, Hugon 2016) : les modèles « d’allégeance rétribuée » (Egypte), « clanique ou ethno régional » (Libye de Kadhafi), « patrimoniaux » des monarchies (Maroc), « militaro pétroliers » (Algérie, Mauritanie), « néo-patrimoniaux ». Le « prétorianisme oligarchique » avec partage du pouvoir entre les civils et les militaires diffère de « l’autocratisme d’origine militaire » (cas fréquent d’anciens officiers ayant acquis le pouvoir par les armes et plus ou moins légitimés par les urnes comme Ben Ali en Tunisie, Ould Abdel Aziz en Mauritanie, etc..), de « l’oligarchie » où un groupe prétorien assume le pouvoir au nom d’un conseil militaire (Algérie en 1992, Egypte en 1952 sous Nasser, Libye au début du coup d’Etat de Kadhafi), ou des « régimes militaires de transition » ayant remis le pouvoir aux civils.
La présentation des diverses configurations dans les révolutions arabes montre que le curseur va des armées républicaines aux armées situées au cœur du politique. La première configuration renvoie à des institutions caractérisées par des missions et des objectifs (défense de l’indépendance et de l’intégrité du territoire), par des règles et des principes (neutralité, hiérarchie, obéissance, esprit de corps), reposant sur des valeurs ou un éthos militaire (dévouement, honneur, sacrifice). Les armées sont l’expression de la force au nom du droit pour assurer la sécurité. D’autres configurations illustrent au contraire le symptôme des violences d’un État non légitime ; l’armée et la police apparaissant dans cette configuration comme des « appareils répressif d’État » (Althusser) ou le reflet de rapports de pouvoir. Souvent contaminées par la corruption, plusieurs armées éloignées du corps social, sont partisanes et divisées (Augé, Klaousen 2010). De nombreux militaires « ponctionnaires » se servent davantage de l’armée et de l’État, plus qu’ils ne les servent comme fonctionnaires.
Ce petit ouvrage aide à mieux comprendre le rôle des armées lors des mouvements sociaux et des transitions politiques dans le monde arabe.
Abrahamsen R, Conflict and Security in Africa, James Cuney, 2013.
Augé A., Klaousen P. (dir.), Réformer les armées africaines. En quête d’une nouvelle stratégie, Paris, Karthala 2010, 228 p.
Augé A., Gnanguegnon A. (dir), « Les armées africaines et le pouvoir politiquer au sud du Sahara », Les champs de mars, n° 28, oct. 2015, 91 p.
Daguzan J.-F., « Armées et société dans le monde arabe : entre révoltes et conservatisme », Maghreb-Machrek, N°214, Hiver, 2012
Hugon Ph., Les avatars des armées africaines depuis les indépendances. Essai de périodisation et de comparaison ». Afrique contemporaine, 2016
Perlmutter A., Political Roles and Military Rulers, Frank Cass, London, 1981
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