À la fin des années 90, la géoéconomie était en vogue : elle prétendait remplacer la géopolitique. On en est revenu, même si personne ne nie qu’il y ait des rivalités de puissance dans le domaine économique. C’est pourquoi la notion de guerre économique paraît plus pertinente, surtout quand elle est associée au mot « État ».
C’est la principale originalité de ce livre : en effet, traditionnellement, on comprenait la mondialisation comme un phénomène principalement économique, qui aboutissait d’une part à la dissolution des États et de la puissance des États, d’autre part à l’émergence de nouveaux acteurs (de nouvelles « puissances ») qu’étaient, au choix, les marchés ou les firmes multinationales (FMN). Ali Laïdi, docteur en science politique et spécialiste d’intelligence économique, démontre que les États sont de retour, et redeviennent des acteurs majeurs de la guerre économique.
Son livre est articulé en deux grandes parties : la première évoque la guerre économique qui devient la nouvelle ligne de front de la rivalité de puissance ; la seconde décrit les systèmes nationaux d’intelligence économique.
Au sujet de la notion de guerre économique, l’auteur en donne la définition suivante : « stratégie économique agressive d’une entreprise ou d’un État pour atteindre un objectif : conquérir ou protéger un marché » (p. 24). Il constate que « les adversaires de la guerre économique sont en réalité les libéraux » (p. 28). Or, il faut constater le retour de l’État dans les affaires économiques (chap. 2) : « la mondialisation a moins la cote au pays du libéralisme depuis qu’elle profite autant, sinon plus, aux concurrents : les pays émergents » (p. 35) avec des plans de relance qui permettent aux États d’être la « providence des marchés » (chap. 3). Cette guerre a trois fronts (chap. 4) : l’espace extra-atmosphérique, les zones maritimes et les terres exploitables. On est là en pleine « géopolitique des ressources », il n’en faut pas douter. Suivent trois chapitres sur les méthodes contestées des États-Unis et de la Chine, les fonds souverains et sur la nationalité persistante des FMN (« avec la crise, les multinationales ont retrouvé leur nationalité », p. 129). La conclusion est limpide : « malgré l’annonce mainte fois répétée de sa mort, l’État résiste et peut-être même se régénère à la faveur des nouveaux enjeux géoéconomiques » (p. 129).
S’agissant du tableau des systèmes nationaux d’intelligence économique, l’auteur décrit successivement les dispositifs américain, japonais, chinois, britannique, russe, européen et français. Le lecteur s’aperçoit à quel point les dispositifs mis en place reflètent des cultures nationales. La description du cas chinois suscite particulièrement l’intérêt. Quant à l’Europe, la conclusion est lipide, valable dans ces matières comme dans d’autres : « La puissance ou la mort ! L’Europe se trouve devant un seuil historique » (p. 263), un de plus, pourrait-on dire. Car « la puissance des Européens fait peur aux Européens eux-mêmes ». Or, « l’UE peut renoncer à la puissance militaire, mais pas à la puissance économique. Car si l’Otan protège militairement l’Europe, rien n’engage les États-Unis à assurer la sécurité économique du Vieux Continent » (p. 269) : le partage suggéré des tâches est intéressant ! S’agissant de la France, à la fois consciente et un peu timorée, « il manque un engagement clair et ferme de l’État », puisque les textes existant « peinent à relier acteurs publics et acteurs privés » (p. 309).
Ce livre est donc particulièrement intéressant, avec un style assez vif qui ne verse pas, malgré quelques facilités, dans l’excès de jargon ou l’excès de journalisme. Il est convaincant et permet de faire le point sur un sujet important, avec une idée phare qui mérite qu’on y réfléchisse : l’État est de retour, et pas seulement pour combler les imprudences du système financier.