De 1940 à 1944, les militaires allemands en France occupée ont beaucoup écrit, le plus souvent à destination de la mère patrie : lettres, photos ou journaux, de soldats convaincus, de vétérans de la Grande Guerre, d’adolescents, d’intellectuels. Pour la première fois, un échantillon de ces correspondances est traduit en français, offrant ainsi une perspective inédite sur le quotidien des armées allemandes sous l’Occupation : la victoire, l’agréable routine, le déclin, la débâcle.
À travers ces chroniques adressées aux familles, aux camarades, parfois même aux amies françaises (n’oublions pas que 100 000 enfants sont nés pendant l’Occupation des liaisons entre soldats ou officiers allemands et des Françaises), les historiens français et allemands Aurélie Luneau, Jeanne Guérout et Stefan Martens mettent en scène la vie de ces soldats, leurs certitudes et leurs inquiétudes.
Bien sûr il convient d’échapper au propos laudateur suivant, bien qu’il recèle un fond de vérité qui remonte au fameux « Comme Dieu en France » de : « Les Français ne bossent pas comme des imbéciles comme nous, ils prennent le temps pour tout et semblent, personnellement, plus heureux » (Gottfried S. à sa femme, Lotte, 23 mai 1941).
Ils sont 80 000 en 1941, près d’un million à la veille du débarquement en juin 1944. Issus de tous les milieux et de toutes les régions, certains quittent leur foyer pour la première fois. Cinq années durant, ces Allemands qui occupent la France écrivent à leur famille, se confient à leurs journaux intimes, croquent leur quotidien dans des calepins, photographient les paysages, remplissent même des carnets de dessins. Avec le temps, leurs sentiments évoluent. Les lettres des premiers mois se veulent rassurantes, et même fanfaronnes ; peu à peu, le doute s’installe. Certains ont une foi absolue en Hitler. D’autres, tel le jeune soldat Heinrich Böll, futur prix Nobel de littérature, dont les lettres sont traduites pour la première fois, sont gagnés par l’empathie et tissent des liens avec les Français. Celui-ci écrivit le 7 décembre 1942 : « Je me sens souvent seul et abandonné quand je regarde les rues ici, rencontrant les visages des gens, en partie hostiles ou moqueurs, en tout cas indifférents. Tout autant qu’ils sont, ils ne nous accordent qu’une guerre perdue, et il semble souvent que nous-mêmes ne croyions plus vraiment à la victoire ».
Entre les lignes se dessine un nouveau visage de l’occupant, plus complexe, plus subtil. Sous la plume des Allemands, une autre guerre nous est racontée. Comme un Allemand en France, est un recueil de lettres inédites d’Allemands (le plus souvent de simples soldats, mais aussi d’officiers ou d’infirmières) en garnison en France pendant la Seconde Guerre mondiale, envoyées généralement à leur famille ou à des amis. Ce que nous racontent ces lettres s’avère assez étonnant ! Pour ces soldats, la France est un lieu de villégiature dont ils admirent les paysages et apprécient la nourriture (tout au moins jusqu’en 1943). Certes, la censure ne permet pas de tout raconter et ces hommes et femmes ne souhaitent pas inquiéter ceux restés en Allemagne, mais la guerre et la vie en France qu’ils nous racontent sont bien différentes de celles que l’on trouve dans nos manuels d’Histoire.
Fruit d’un long travail de recherche des trois auteurs, ce livre laisse apparaître une nouvelle vision du soldat allemand bien plus complexe que l’on ne le croit. S’y ajoutent aussi, ne l’oublions pas les lettres du million de prisonniers allemands aux mains des autorités françaises après le 8 mai 1945, dont 70 % « cédés » par les États-Unis dont 70 000 acceptèrent de rester après 1947 avec un contrat de travailleurs civils libres. Il a fallu deux années de recherche en Allemagne pour trouver, sélectionner et rassembler ces écrits complètement inédits en France, parmi les 28 milliards de lettres et de cartes postales envoyées via la Feldpost, le service postal de la Wehrmacht ! Les auteurs renouvellent ainsi de manière passionnante notre regard sur cette période.