« Un ami bouquiniste à l’esprit vif-argent m’interpelle un jour d’hiver et m’apprend que sa fille souhaite savoir ce qu’est la diplomatie, car elle songe à devenir diplomate. Quel ne fut pas mon étonnement lorsqu’il ajouta qu’elle était en classe de seconde, donc fort jeune, encore assez loin des études supérieures. Deux heures de conversation avec cette jeune fille m’ont peu après suffi pour comprendre qu’elle n’avait pas perdu de temps et que son esprit s’était affûté au contact des meilleurs auteurs… ».
En suivant le fil rouge de Talleyrand, redoutable diplomate ayant traversé tous les régimes du XVIIIe siècle, l’ouvrage fourmille de conseils et d’anecdotes. L’auteur, ayant lui-même « épousé la carrière » qu’il a quittée en 2005, revient avec humour sur son expérience à un moment où la parité homme-femme progresse vite dans un milieu traditionnellement assez masculin.
Au-delà de cet aspect divertissant à l’envie, l’ouvrage de Philippe Selz est un véritable outil pédagogique au sens noble du terme sur le métier de diplomate, qui quoi que l’on en dise requiert un long et subtil apprentissage, car on exige du praticien bien des qualités d’écoute, d’observation, d’expression et de synthèse, de maintien et de comportement. En s’appuyant sur son parcours diversifié dans les ambassades, les consulats, les directions du Ministère, les Cabinets ministériels, il prodigue bien des conseils utiles, sur le style diplomatique qui apparaît feutré, allusif, avec force litotes ; et donc de ne pas appeler un chat un chat, comme on dit. L’avantage de ce style, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral, est qu’il permet de dire des choses – en particulier à des interlocuteurs étrangers pouvant être susceptibles – sans offenser, sans blesser, puisque cela est formulé avec tact, politesse même si ce que l’on exprime est sur le fond, négatif, signifie une impossibilité, un refus, voire un fort mécontentement. Pour être parfaitement compris, il est préférable de s’exprimer de façon qui ne soit pas mal reçue par l’interlocuteur : si on veut le convaincre, mieux vaut ne pas irriter par des paroles, ou des écrits, rugueux – et plus important encore si on sait que l’on ne convaincra pas, mieux vaut ne pas entraîner des mécontentements, voire des foudres qui pourraient nuire inutilement… Cela est particulièrement vrai, quand on discute, négocie, afin d’obtenir quelque chose, une décision qui vous convienne, mais que l’on sait, ou devine, être difficile à accorder par son interlocuteur.
J’ai connu deux ou trois diplomates au langage volontairement cru avec leurs interlocuteurs, français comme étrangers : cela n’a guère paru améliorer leurs performances. L’expérience enseigne que l’on peut parfaitement exprimer des choses fortes avec un langage courtois, ne risquant pas d’offenser, sans expressions ne pouvant que nuire à la cause que l’on défend, meilleure manière de faire passer le message. Ainsi par petites touches, tout le métier, l’art du diplomate est déroulé avec force et entrain. Philippe Selz, en homme de l’art, en dévoile bien des aspects, sinon des secrets.
L’ouvrage se termine par un recueil d’une cinquantaine de pages de citations de Talleyrand. En ces temps d’ultramédiatisation, certaines des maximes du Diable boiteux pourront paraître surannées : « Une affaire pour laquelle il faut toujours donner des explications est certainement une mauvaise affaire » (1832). D’autres n’ont rien perdu de leur force : « Il faut bien dire que dans les jours de bouleversement refuser son action c’est donner à ceux qui veulent détruire une facilité de plus ». Ce recueil de citations choisies offre au lecteur contemporain plus que matière à méditation, c’est une véritable source de sagesse et un cours d’apprentissage de l’homme d’action.