En partant du constat initial qu’en dépit des nombreuses affirmations politiques selon lesquelles « Nous sommes en guerre », surtout depuis les attentats de 2015, la plupart des responsables occidentaux « n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre » la nature du conflit auquel nous sommes confrontés. Le général Jean-Bernard Pinatel recherche dans le temps long les formes et les manifestations de ce radicalisme islamique qui « mène depuis trois siècles une guerre révolutionnaire à finalité religieuse » contre ce qu’il désigne comme les apostats, les croisés ou les ennemis de l’islam.
Il dresse ainsi une histoire de l’Islam radical, sans concession pour ceux qui s’en servent pour atteindre leurs objectifs stratégiques ou qui n’ont pas été capables d’évaluer à sa juste mesure la menace qu’il représentait pour la sécurité des Français.Ce travail de synthèse qui couvre une période de près de trois siècles, est basé sur une très riche bibliographie française et étrangère. C’est aussi le regard d’un officier parachutiste devenu chef d’entreprise, homme de terrain et de réflexion qui connaît ces pays du Moyen-Orient et du pourtour méditerranéen. En citoyen libre et responsable, il réfute les explications sommaires de commentateurs soucieux de sensationnel, dévoile les signaux faibles et les facteurs porteurs d’avenir qui déterminent l’évolution de cette guerre totale que mène l’islamisme radical pour instaurer partout dans le monde des États islamiques fondés sur la Charia.
Il propose une stratégie globale pour y faire face après avoir répondu à la question suivante : l’Islam est-il compatible avec la république ? Le livre est construit en trois grandes parties chronologiques et une quatrième partie d’interrogations et de recherche d’une stratégie globale. La première s’intéresse à la naissance et au développement du Wahhabisme et aux Frères Musulmans, organisation née en Égypte à la fin des années 1920 pour à la fois réislamiser le pays et le Moyen-Orient dans son ensemble mais aussi pour lutter contre les Anglais. Organisation à caractère proprement révolutionnaire, soucieuse d’encadrer très tôt la jeunesse, elle s’inspire sur ce terrain de deux modèles : « l’un britannique, les ‘‘scouts’’, l’autre allemand, les ‘‘Hitlerjugend’’. Or, « tant sur le plan théologique que sur celui de l’objectif final (installer partout des États islamiques guidés par la Charia), il n’y a aucune différence notable entre les Frères et les wahhabites. Ce qui les distingue, c’est leur stratégie et leurs modes d’action ». La deuxième partie revient sur les maladroites et désastreuses tentatives américaines pour manipuler l’Islam radical contre les Soviétiques à partir de l’été 1979, donc avant l’intervention de l’Armée rouge en Afghanistan qui ne date que du 25 décembre 1979, jusqu’au début des années 1990, avec les épisodes que l’on connaît en Égypte, en Iran, en Syrie, en Afghanistan ou encore en Tchétchénie. Cette politique « a été l’une des principales causes de l’introduction du djihadisme en Europe ». Jean-Bernard Pinatel parle tout simplement d’erreurs stratégiques grossières. Au passage, il constate et regrette : dans « la tradition militaire américaine est en effet que la logistique commande aux opérations, alors que la tradition européenne est exactement l’inverse : c’est la tactique qui commande les opérations ». La troisième partie étudie donc les faillites de cette politique jusqu’à la seconde guerre d’Irak (2003-2011). Il détaille également l’émergence de la famille Ben Laden dans les affaires du Moyen-Orient et n’oublie pas que ce sont les États-Unis qui armèrent « les Frères Musulmans bosniaques, accélérant l’implantation d’un foyer d’islam radical au cœur de l’Europe ». Il revient aussi sur des excès de vocabulaire. Non, toutes les agressions ne sont pas nécessairement de « nouvelles formes de guerre ». Ce que l’on nomme « guerre asymétrique » n’est jamais que la dernière version d’une « stratégie vieille comme le monde : la guérilla », avec ses IED, ses moyens de communication, etc. : « L’erreur stratégique des conseillers de G. W. Bush et d’Obama a été de croire ou de laisser croire que l’on pouvait gagner ce type de guerre avec des forces classiques », forces peu adaptées à la souplesse de la « guerre des réseaux », une stratégie globale contre laquelle seul le renseignement est réellement déterminant. S’appuyant sur des données chiffrées significatives (investissements américains dans les technologies d’armement en particulier), il en conclut : « Ces élucubrations sont alors relayées par des organismes comme l’Otan, dont l’existence ne se justifie que dans un climat de guerre froide artificiellement créé. Les déclarations de ces responsables sont alors puissamment relayées et amplifiées par des médias en recherche permanente de sensationnel et par de soi-disant experts, véritables agents d’influence, rétribués par ces mêmes milieux ». La dernière partie n’est pas plus tendre pour les principaux dirigeants occidentaux. Il parle de « désastreuse gestion de la crise syrienne » et il affirme que « la menace de l’islam radical ne s’éteindra pas avec la défaite de l’État islamique ». Un livre percutant, engagé, toujours argumenté, qu’il semble important d’étudier en profondeur particulièrement dans les temps actuels, à l’heure où Donald Trump n’a pas déterminé de stratégie américaine claire pour la Syrie.