Depuis le 11 septembre 2001, avec la vision en direct et passée en boucle sur les écrans de l’effondrement des Twin Towers, le monde a basculé dans une nouvelle ère anxiogène où l’émotion pourrait tenir lieu de politique étrangère.
Une quinzaine d’années après, le sentiment de peur s’est même accru, accentué par le terrorisme djihadiste alimenté par l’échec des printemps arabes, l’immensité des ressentiments et frustrations engendrés par la seconde guerre du Golfe en 2003, le déchirement du Levant et des flux migratoires quasi-impossibles à contrôler.
Attentats, conflits, guerres, génocides, menaces nucléaires… la liste est longue des tensions actuelles et potentielles, créant une incertitude stratégique réelle d’autant plus que le monde multipolaire n’a pas encore trouvé son équilibre.
D’où l’intérêt des décryptages pour comprendre cette dangerosité incontrôlée. Sous la direction de Sonia Le Gouriellec, spécialiste de la Corne de l’Afrique et chercheure à l’Irsem, 23 experts nous proposent leur lecture de l’état du monde, avec des approches très différentes mais complémentaires.
Les 25 notices proposées ne se veulent pas exhaustives mais ont cependant un point commun, contrer le catastrophisme ambiant. Certes, il y a des attentats, des crises majeures y compris nucléaires, des affrontements civilisationnels, de la désinformation… mais globalement le monde va mieux. La violence a reculé si l’on regarde en arrière l’histoire du XXè siècle. Les conflits interétatiques de grande ampleur ont cessé. Il y a une décrue des guerres, même si la violence n’a pas cessé et que les principales victimes sont désormais les populations civiles. De plus, la notion de sécurité a progressé sur la scène internationale grâce aux institutions, délégitiment ainsi la guerre comme moyen de régulation des relations interétatiques. L’un des intérêts du livre est aussi de ne pas se focaliser exclusivement sur la question terroriste et d’aborder d’autres réalités permettant de comprendre les difficultés actuelles, accrues par la mondialisation des échanges, des biens et des Hommes et l’instantanéité de l’information renforcée et/ou déformée par les réseaux sociaux.
C’est ainsi que les politiques étrangères des principales grandes puissances sont abordées et notamment leur rivalité normalement contenues mais parfois exacerbées par le populisme et le nationalisme. Les auteurs soulignent cependant que les risques de confrontation majeure restent faibles –sans hélas que soit mentionné le rôle stabilisateur de la dissuasion nucléaire–, dans la mesure où personne n’a intérêt à une réelle dégradation.
La façon de faire la guerre est également présentée avec ses nouvelles formes et ses dérives, notamment en Afrique qui reste en proie à une violence endémique, malgré des évolutions positives et un développement économique en marche. Se pose ici la question des interventions françaises avec leurs succès militaires réels mais aussi les difficultés pour obtenir des résultats politiques satisfaisants s’inscrivant dans la durée.
À travers les contributions, plusieurs interrogations subsistent et permettent ainsi de contribuer au débat. Il y a notamment le conflit des civilisations si chère au politologue américain Samuel Huntington (1927-2008), dont certaines conclusions étaient hâtives et trop idéologisées. Toutefois, la conflictualité Chiites-Sunnites interpelle montrant que l’Islam est en crise profonde et qu’il existe, à défaut d’un conflit de civilisations, un conflit d’identité. On peut également regretter ici l’absence de la dimension océanique, à peine effleurée. Or, le contrôle des mers est aussi un enjeu géopolitique et de rivalités nouvelles comme la route du Nord avec la Russie comme acteur ou les détroits, en particulier en Asie du Sud-Est et en Océan Indien avec l’accroissement de la rivalité sino-indienne.
Il faut cependant saluer ce travail collectif qui ne se veut en aucun cas exhaustif mais qui contribue à décrypter un monde certes moins dangereux globalement qu’hier mais encore à la recherche d’un équilibre stratégique moins fondé sur le rapport de force comme c’est le cas aujourd’hui et l’usage de la violence comme outil de régulation.