Souveraineté – Nation – Religion. Derrière ce titre trinitaire quasi-clausewitzien se trouve une confrontation de haut vol entre deux penseurs contemporains dont « la rencontre était improbable et la discussion semblait impossible ». D’un côté de la table, Jacques Sapir, économiste et penseur reconnu de la souveraineté, « celui qui ne croit pas au Ciel ». De l’autre, Bernard Bourdin, philosophe, théologien et historien des idées politiques, « celui qui croit ». Entre ces deux « antinomies incarnées », s’engage sous le patronage de Bertrand Renouvin – directeur politique de Royaliste – un dialogue d’une grande fécondité entre deux visions complémentaires à la confluence des défis actuels de l’individualisme consumériste, du multiculturalisme et du fondamentalisme religieux.
Loin de nous plonger d’emblée dans la contingence du « comment faire » face à ces angoissants défis contemporains, l’économiste et le théologien entreprennent en premier lieu une passionnante anthropologie de la notion de souveraineté et de son rapport au fait religieux en Occident. De l’Antiquité au Moyen-Âge en passant par l’empire romain, se déploient au fil des échanges deux lectures complémentaires de la souveraineté comme réponse au double besoin naturel de transcendance et de médiation inhérent aux sociétés humaines.
Le débat en vient ensuite à la place de l’Église dans l’histoire et au thème de la laïcité. En convoquant Spinoza et Bodin, Jacques Sapir montre qu’il est nécessaire de fonder l’organisation politique sur un « ordre démocratique » et que « seuls des critères politiques permettent de définir le peuple ». En théologien du politique, Bernard Bourdin lui donne la réplique, et ce faisant leur débat permet de clarifier le sens des mots : la loi de 1905 est repositionnée dans son contexte, les confusions entre laïcité et liberté de conscience sont levées, et la différence entre morale laïque et enseignement laïc de la morale clairement posée. Au fil des échanges, le rapprochement des notions de laïcité et de souveraineté donne lieu à une mise en exergue du rôle fondamental – indispensable [1] – des frontières dans le fait démocratique. De la dialectique entre souveraineté et religion émerge naturellement le rôle unificateur du troisième sommet trinitaire, la nation, qui fédère un peuple « politique » et non pas uniquement « culturel ». En examinant la nation à l’épreuve de la conflictualité actuelle – chapitre VI – les deux penseurs offrent des réflexions très pertinentes sur le rapport de la nation à l’idée de paix et sur le besoin de « prendre au sérieux la guerre », même limitée – comme cela est le cas face au terrorisme islamiste.
Ce dialogue s’achève sur la question de la place actuelle de la religion dans l’espace public. Rappelant le besoin fondamental de transcendance, Bernard Bourdin en appelle à une nouvelle articulation entre les sphères publiques et privées pour relever les défis théologico-religieux actuels. Jacques Sapir estime quant à lui que le besoin d’une médiation au-dessus des individus, pour décider et trancher, n’a jamais été aussi fort.
Au total, loin d’être une forme d’alliance de la carpe et du lapin, cet échange vivant et amical offre au lecteur une réflexion stimulante pour distinguer l’essentiel de l’accessoire s’agissant de la souveraineté nationale et de son rapport à la chose religieuse en Occident. Alors, « dilemme ou réconciliation ? » comme le laisse entendre le titre. Laissons la parole aux personnages : « BB : Jacques, entre toi et moi, la guerre des deux France n’existe pas ? JS : Non, elle n’existe pas ! ».
[1] Thierry Baudet : Indispensables frontières, Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie ; Éditions du Toucan, 2015 ; 592 pages.