Au moment où Les heures sombres, film historique britannique captant un moment épique de la vie du vieux lion dressé seul face à l’Allemagne nazie, sortait sur les écrans, était publié ce monumental dictionnaire Churchill, œuvre d’Antoine Capet, professeur émérite de civilisation britannique à l’Université de Rouen.
Grand connaisseur de Churchill, Antoine Capet a publié une nouvelle traduction annotée des Mémoires de la Grande Guerre et du recueil d’essais Mes grands contemporains, ainsi que de la première édition en français de la correspondance avec son épouse Clémentine. Ce dictionnaire n’a pas adopté la présentation alphabétique : en seize chapitres, il scrute les facettes de ce géant du XXe siècle, certainement le plus grand. Enfance et scolarité, famille, convictions, goûts et loisirs bien sûr.
C’est à partir du chapitre VII que le récit prend sa véritable dimension historique avec la description de la riche carrière d’officier de l’arrière petit-fils du duc de Malborough, le vainqueur de la bataille de Blenheim (1704) qui a donné son nom au château familial. Le jeune cavalier du 4e hussards a été avide d’aventure ; il s’est rendu en 1895 à Cuba pour relater les épisodes de la révolution ; il adorait les sports équestres, excellait au polo, montait à cheval de huit à neuf heures par jour. On le suit à Bangalore (1896), au Soudan, où il participe à la bataille d’Omdurman (1898) et prend part à la charge – qui a tout juscillte duré 120 secondes – contre les derviches, armé de son pistolet Mauser. On a dit qu’il s’est agi de la dernière charge équestre de l’histoire militaire : « Comme c’est facile de tuer un homme ! » écrira-t-il plus tard. Puis le Morning Post lui offre un pont d’or pour couvrir la guerre des Boers (1899-1900), « Je cherchais la bagarre ». Fait prisonnier il s’évade spectaculairement. Un parcours qui se clôt en « poilu » (1915-1916), car nommé commandant de brigade, il ne circule jamais sans son « casque Adrian modèle 1915 », que le général Fayolle lui avait offert en décembre, qu’il gardera toute sa vie. Son expérience de Poilu aura deux conséquences note Antoine Capet : l’une positive, le renforcement de sa conviction que seul le « tank » pouvait mettre fin à cette vaine boucherie ; l’autre négative, le renforcement de son admiration pour la ténacité du fantassin français qui lui fera à tort trop faire confiance à l’armée française après 1933.
Cela conduit au sujet qui a fait l’objet de nombreux ouvrages : Churchill et la France. Aucun autre pays (même les États-Unis, patrie de sa mère) n’a été autant de fois visité que la France, qu’il aimait et adorait même, tout en fustigeant ses faiblesses et abandons ; il la visite de façon assidue de 1883 à 1963 ; avant 1939 il s’y était déjà rendu cent fois ! À Sandhurst, sa meilleure note fut en français avant même l’histoire anglaise qu’il connaissait au bout des doigts. Il projetait d’écrire une « Vie de Napoléon ». Lors de sa visite mémorable au front le 30 mars 1918, guidé par Clemenceau, il écoute un résumé de la situation, par un Foch, auquel il voua ensuite une admiration sans borne. Ce qui lui fit dire six semaines après l’avènement d’Hitler : « Dieu merci, il y a l’armée française » ! Churchill fut l’invité d’honneur de la France dans la tribune d’honneur, lors du défilé du 14 juillet 1939, où il apprécie tout particulièrement les unités blindées. Ayant accédé enfin au pouvoir en mai 1940, à soixante-cinq ans, Churchill entrera dans l’histoire. Selon la formule de l’essayiste C. P. Snow : « Ce fut le dernier aristocrate à véritablement gouverner le pays – et pas seulement à participer à son gouvernement. » Quarante pages sont consacrées à cette période du 10 mai 1940 au 26 juillet 1945 lorsqu’à l’issue du scrutin législatif les Conservateurs sont laminés obtenant 210 sièges contre 393 aux Travaillistes. On sait bien que c’est grâce à Churchill que notre pays a obtenu une zone d’occupation en Allemagne et un siège permanent au Conseil de sécurité.
Winston Spencer Churchill, WSC, comme il aimait se nommer, n’agissait pas par pur amour pour l’Hexagone mais en pur Realpoltiker, comme il s’en expliqua à Yalta le 6 février à Roosevelt : « Donner à la France une zone d’occupation n’était pas une fin en soi. L’Allemagne se redresserait sûrement, et si les Américains pouvaient toujours rentrer chez eux, les Français étaient forcés de l’avoir pour voisine. Une France forte était indispensable, non seulement pour l’Europe, mais pour la Grande-Bretagne. Elle seule pouvait interdire la construction de rampes de lancement de fusées sur ses côtes de la Manche et constituer une armée pour contenir les Allemands. » Le chapitre X, un des plus suggestifs, « Churchill et le monde extérieur », fort de 163 pages, un petit livre en soit, décrit l’attitude, les conceptions et les relations qu’a entretenues Churchill avec les pays étrangers, pays anglophones et membres du Commonwealth au premier chef.
Notons ici que si le vieux lion affectait particulièrement le Canada, mais il ne s’est jamais rendu ni en Australie, ni en Nouvelle-Zélande : le souvenir de la triste équipée des Dardanelles (1916) y était trop vivace. À l’heure du Brexit les pages consacrées à Churchill et la construction européenne ne manquent pas d’attrait. À la fin de sa vie en juillet 1962, lorsque Harold MacMillan posa la candidature de la Grande-Bretagne à la CEE, Churchill, hospitalisé reçut la visite de Montgomery foncièrement hostile à cette candidature, qui fit savoir à la sortie que Churchill était bien sûr du même avis. La famille de Churchill publia un communiqué plus nuancé. L’ancien Premier ministre n’était pas contre l’adhésion, à condition que les intérêts du Commonwealth fussent entièrement préservés et que les Européens fissent les concessions nécessaires pour faciliter l’entrée de la Grande-Bretagne au sein des communautés européennes. Près de 200 pages du Dictionnaire sont consacrées aux diverses personnalités qu’a côtoyées Churchill au cours de sa très longue vie publique. Franco tropisme : Charles de Gaulle a droit à sept pages et demie et Franklin Roosevelt, sept, autant que Staline. Le dialogue Churchill-Staline commença dès le 25 juin 1940 après la défaite de la France lorsque le Premier ministre britannique demande à Monsieur Staline de se détourner de l’alliance avec Hitler. Il le prévient en mai 1940 que l’URSS est sur le point d’être attaquée, mais Staline n’en a pas tenu compte. Les jugements de Churchill vis-à-vis du petit père des peuples ont considérablement varié au gré des circonstances et selon les intérêts du moment. Avant de quitter Potsdam, la « biographie officielle » de Churchill met l’accent sur les trois points où il a eu gain de cause contre Staline : la frontière russo-turque, le retrait de toutes les forces étrangères de Perse, et les zones d’occupation américaine et anglaise en Autriche. Lorsque l’académie suédoise de littéraire lui décerna le prix Nobel de littérature en 1953, Churchill ne fut guère enthousiasmé par les douces paroles prononcées à son égard : « Un César qui aurait en même temps les talents d’un Cicéron. » L’homme de guerre implacable eût tant préféré avoir reçu les lauriers du Nobel de la Paix.