Avec ce traité de stratégie, les quatre piliers de l’enseignement stratégique à l’École de Guerre proposent une somme à la fois exigeante et accessible, qui s’inscrit dans la lignée de l’œuvre magistrale de feu Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012). Pour les nombreux élèves qui ont eu l’honneur de suivre les enseignements du maître, cet ouvrage sera ainsi une forme de renouveau dans la continuité, avec au passage une cure d’amaigrissement sensible par rapport aux 1 200 pages de la dernière édition de son indispensable Traité de stratégie (1). Pour le public plus large, ce recueil d’une grande clarté constitue une remarquable introduction à la stratégie, abordée ici dans toutes ses facettes.
Au gré de quatorze chapitres ramassés – une vingtaine de pages – et parfaitement articulés entre eux, la stratégie est abordée du haut vers le bas, depuis ses « principes de toujours » jusqu’à ses manifestations dans des procédés toujours renouvelés et variables selon les époques, les cultures et les milieux.
À la manœuvre de l’ouvrage, Martin Motte ouvre la voie dans son chapitre inaugural en rappelant l’essence de la stratégie, notion fondamentalement conflictuelle et indissociable de l’emploi de la force, comme le suggère le sous-titre du traité. À mi-traité, il signe également le chapitre sur les cultures stratégiques, y montrant notamment les limites de l’approche culturaliste qui, bien que séduisante, mérite d’être critiquée. Par ailleurs, cet éminent maritimiste couche ici par écrit son cours sur les stratégies navale et maritime, qui se distingue par sa clarté dans le positionnement des concepts, leurs généalogies et les liens qui les unissent. Cinquante ans après la mort de Castex, le lecteur appréciera cette synthèse aussi brève que limpide.
Au travers de cinq chapitres, Olivier Zajec aborde quant à lui la stratégie comme système, science, méthode et art, sa contribution constituant ainsi le cœur théorique du traité. Grâce à une approche à la fois érudite et pédagogique, Olivier Zajec met en place les outils qui permettent au lecteur d’ordonner les concepts entre eux et in fine de surmonter les contradictions apparentes entre les principes stratégiques ou entre les grands courants stratégiques qui traversent l’histoire. Ses deux chapitres sur l’évolution de la stratégie classique et sur les stratégies dites « alternatives » constituent à ce titre une remarquable remise en perspective des mouvements de balanciers entre les différents paradigmes stratégiques – techniciste et culturaliste – au cours du XXe siècle.
De son côté, le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois signe la plupart des analyses consacrées aux stratégies de milieux (air, espace et cyberespace), ainsi que le chapitre consacré aux stratégies nucléaires. Son approche systématique consistant à appliquer à ces trois milieux la grille de lecture castexienne de la stratégie navale – guerre d’escadre, guerre de course, guerre de côtes – et à y décliner les trois grands modes stratégiques – dissuasion, coercition, action – est particulièrement efficace pour en faire ressortir les spécificités et y déceler les tendances pour l’avenir de la conflictualité dans ces milieux.
Enfin, le cours du professeur Georges-Henri Soutou sur la stratégie, les relations internationales et le système international constitue un fil rouge essentiel pour situer conceptuellement la stratégie dans le cadre plus général des rapports entre États, depuis la mise en place de l’ordre westphalien jusqu’à nos jours.
On soulignera également la qualité de la bibliographie de ce Traité de stratégie, qui propose une solide liste d’ouvrages d’entrée en matière ou d’approfondissement pour chaque thème abordé.
Au total, si l’on doit retenir une caractéristique de cet ouvrage qui « ambitionne de fournir aux élites civiles et à l’opinion éclairée les connaissances dont elles ont besoin pour nouer avec les élites militaires le dialogue sans lequel il n’est pas de stratégie digne de ce nom », c’est bien sa limpidité. Au cœur du maquis surabondant des strategic studies, war studies et autres warfare studies, ce recueil de cours constitue un îlot salutaire pour qui souhaite disposer d’une grille de lecture solide du fait stratégique.
Et si vous vous posez la question de savoir à quoi sert l’École de Guerre et ce qu’on y apprend, vous y trouverez une grande partie de la réponse.
Hervé Coutau-Bégarie : Traité de stratégie, 7e édition, Paris, Économica, 2011 ; 1 200 pages.