Par deux fois, l’Allemagne, puissance continentale confrontée à une puissance maritime dominante, l’Angleterre, réagit de la même manière en s’attaquant au commerce ennemi, choisissant ainsi une approche asymétrique du faible au fort, approche déjà théorisée par le stratégiste naval britannique Julian Corbett sous le nom de « guerre de course » (par opposition à la « guerre d’escadres »). Dans les deux cas, cette stratégie échoue et se termine par la défaite de l’Allemagne. L’ambition affichée dans son dernier livre par François-Emmanuel Brézet, spécialiste reconnu de la marine allemande, est de nous montrer qu’en dépit d’un objectif stratégique commun ces deux guerres sous-marines allemandes aux communications maritimes partagent paradoxalement peu de points communs.
Lorsque la Grande Guerre éclata en août 1914, la marine impériale allemande disposait déjà d’une vingtaine de sous-marins. Si au départ, l’emploi au combat de ces « torpilleurs submersibles » n’était envisagé que contre les bâtiments de guerre ennemis, le blocus maritime de la mer du Nord, instauré par le gouvernement britannique, incita le gouvernement et le haut commandement allemand à envisager en 1915 l’arraisonnement ou l’attaque des navires de commerce ennemis, puis neutres, afin de « répondre au blocus par le blocus ».
Dans cette phase initiale, l’action des U-Boote fut contrainte par des considérations politiques émanant directement du Kaiser, soucieux d’éviter l’entrée en guerre des États-Unis. Ainsi l’« ordre sur les prises » (Prisenordnung) précisait la nécessité d’arraisonner le navire de commerce, de faire monter à bord une « équipe de visite » chargée de l’inspecter, puis, si la décision de le couler était prise, de faire évacuer l’équipage. Très vite, l’Amirauté britannique arma un certain nombre de navires de commerce ce qui, en vertu de « l’ordre sur les prises », rendait en pratique leur arraisonnement impossible à réaliser. Le problème fut même compliqué par l’intervention de bateaux pièges britanniques, les Q-Ships. qui occasionnèrent des pertes parmi les U-Boote.
Un certain nombre d’incidents survinrent, comme le torpillage du paquebot britannique Lusitania, le 7 mai 1915 au large de l’Irlande. Outre ses 1 158 passagers, dont 128 citoyens des États-Unis, le navire transportait un chargement important de munitions destinées au corps expéditionnaire britannique en France. La Royal Navy avait toutefois connaissance de la présence de sous-marins ennemis dans cette zone, nous confirme le commandant Brézet.
Le 1er février 1917, le gouvernement du Kaiser déclara la guerre sous-marine à outrance, conformément aux souhaits d’ailleurs de la population allemande, qui y voyait une solution radicale pour mettre fin au blocus naval britannique, lequel commençait à faire sentir ses effets sur le ravitaillement alimentaire de la population (on parlait alors de Hungerblockade, de « blocus de la faim »). Cette décision fut prise alors même que la marine ne disposait pas encore du nombre d’unités sous-marines qui eût été nécessaire. Ce fut donc avant tout une décision politique, contrairement à ce qu’on lit assez souvent. La réaction ne se fit pas attendre : le 2 avril suivant le Congrès américain vota la déclaration de guerre à l’Allemagne.
Après des premiers résultats encourageants (880 000 tonnes coulées en avril 1917), le recours aux convois (90 % des bâtiments alliés ou neutre naviguaient en convois en 1918), l’entrée en guerre des destroyers américains et l’indisponibilité croissante des U-Boote pour cause de maintenance, se conjuguèrent pour entraîner la décrue des pertes alliées (400 000 tonnes en décembre 1917). Le futur grand-amiral Dönitz, alors officier sous-marinier, décrit dans ses mémoires cet océan soudainement devenu vide : « En raison de l’organisation des convois, l’océan était devenu vide ; les sous-marins à la mer étaient isolés, pendant longtemps ils ne voyaient rien et soudain ils rencontraient un amoncellement de vapeurs, de trente à cinquante et plus, entourés par une forte protection de bâtiments de guerre de toutes sortes. » En Méditerranée, les Alliés mirent en place à la même période un réseau de stations d’interception et de décodage des communications radio-télégraphiques des sous-marins allemands.
Le 11 novembre 1918 marqua la fin de la première époque de la guerre sous-marine, époque qui avait commencé en 1904 lorsque le Reichmarineamt avait commandé le tout premier sous-marin. Au total 811 sous-marins allemands furent mis en construction. Sur les 255 qui furent engagés dans les opérations, 178 furent coulés, entraînant la perte de 4 474 sous-mariniers. Les pertes infligées au commerce allié sont estimées à 12 millions de tonnes.
Si lors du premier conflit mondial, l’Allemagne avait, en quelque sorte, l’exclusivité de la guerre sous-marine au commerce, ce ne fut plus le cas lors du second, où sa stratégie fut partagée par les États-Unis, sur le théâtre du Pacifique, à l’encontre des communications maritimes japonaises. En outre, comme le souligne le commandant Brézet, si dans le premier cas, les incidents germano-américains qui précédèrent et, pour une large part, motivèrent l’entrée en guerre des États-Unis en avril 1917 (torpillage des paquebots Lusitania, Arabic, Sussex) s’étaient produits sans aucune intervention du gouvernement américain, il est difficile d’en dire autant en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. En effet, dès juillet 1941, les forces américaines débarquaient en Islande pour y assurer la relève des forces britanniques, puis au mois de septembre, les destroyers américains commencèrent à participer activement à la protection des convois aux côtés de la Royal Navy, ce qui donna lieu à un certain nombre d’incidents (torpillage de l’USS Kearny et du destroyer Ruben James en octobre). La déclaration de guerre allemande aux États-Unis du 11 décembre 1941 ne fit donc pratiquement qu’entériner un état de fait en vigueur sur le théâtre maritime.
À la différence du premier conflit mondial, la guerre sous-marine allemande fut lancée dès le début, même si les défaillances initiales des torpilles allemandes en restreignirent l’effet. Dès le début également, les Alliés mirent en place des contre-mesures efficaces avec la navigation en convois, et la création d’un réseau d’écoute, baptisé Ultra, reposant sur le décryptage des messages radios allemands grâce à la capture d’une machine Enigma. L’utilisation croissante du radar par l’aviation alliée augmenta les pertes allemandes, essentiellement lors de la phase de transit vers la zone d’opérations, transit qui se faisait en surface. Ce fut là précisément pour Brézet le facteur décisif.
Malgré tout, quelques succès notables sont enregistrés, comme l’interception en juin 1942 du convoi PQ17 à destination de la Russie avec 24 bâtiments alliés coulés sur 40, ce qui entraîne la suspension jusqu’en septembre de tous les convois vers l’URSS. Comme en 1917, les succès allemands connaîtront un pic avant de décliner inexorablement sous l’effet des contre-mesures alliées.
Les innovations allemandes de nature à augmenter le temps passé en plongée (schnorchel, turbine Walther à propulsion anaérobie, Elektro U-Boot, bâtiment type XXI) malgré leur avance technologique, sont mises en œuvre trop tard ou en trop petites quantités pour inverser la courbe des pertes.
Au total, le second conflit mondial verra 1 110 sous-marins allemands construits et mis en service, dont 859 entreront en opérations. En 3 000 missions, ils coulèrent 2 610 bâtiments de commerce et 178 bâtiments de guerre, causant aux alliés ou aux neutres 40 000 pertes en personnel. En tout 648 sous-marins furent détruits à la mer. On estime à 30 000 le nombre de sous-mariniers victimes du conflit (soit 7 fois plus qu’au cours de la Première Guerre mondiale), le pourcentage de perte pour les bâtiments effectivement à la mer atteignant 60 %.
On peut finalement conclure de l’analyse comparée de ces deux campagnes sous-marines emblématiques que les causes de leur échec résident essentiellement dans l’insuffisance des moyens mis en œuvre lors de leur lancement. Lorsque les Alliés se ressaisirent et perfectionnèrent leurs moyens de lutte anti-sous-marine, les pertes allemandes devinrent très vite rédhibitoires, malgré l’augmentation du rythme de construction de nouveaux bâtiments.