L’Arctique, bordée par cinq pays riverains, Canada, États-Unis, Russie, Norvège et Danemark, via le Groënland, appelée à devenir bientôt indépendant, espace qui resta si longtemps éloigné, glacial, nocturne une partie de l’année, hostile à l’homme, dangereux, et largement inconnu, s’ouvre aux activités humaines ; qu’il s’agisse du transport maritime, durant la saison estivale, de la pêche, du tourisme et bien entendu de l’exploitation de ses ressources minérales et énergétiques.
Cette zone boréale, délimitée le plus communément par le cercle polaire (66° de latitude Nord), d’une superficie de 21 millions de km², ne recèlerait-elle pas, selon une étude de l’UGSS (United States Geological Survey) datant de 2008, 13 % des réserves non encore découvertes de pétrole, et 30 % de celles du gaz, chiffres, qui à l’époque ne prenaient pas en compte le gaz et les huiles de schistes. Cette mise en valeur des richesses de l’Arctique est rendue possible par la diminution de la banquise dont la superficie durant la période estivale est passée de 7,8 millions de km² en 1979 à 5,9 millions de km² en 2005 (25 % de moins) pour atteindre son niveau le plus bas, à 3,8 millions de km² en septembre 2012 ; au point que maints experts prédisent sa totale disparition durant l’été aux environs de 2030. Il résulte de cette série de faits, que les rivalités stratégiques, les compétitions commerciales, voire les sujets de confrontation (zones économiques exclusives, délimitation du plateau continental, remilitarisation des espaces…), longtemps « gelés » ou simplement potentiels inscrivent désormais l’espace arctique dans les rapports de force mondiaux.
Il n’en fut pas toujours ainsi car l’Arctique, il fallait d’abord la découvrir, la traverser, la décrire y séjourner, l’étudier sous tous ces aspects. Tel est l’objet de la belle histoire des explorations arctiques de Dominique Le Brun, membre des écrivains de la Marine, invité permanent de l’Académie de Marine. Pythéas en fut le premier navigateur, expédition d’autant plus audacieuse qu’elle eut lieu entre 330 et 312 avant notre ère au départ de Massilia, l’actuelle Marseille. À la recherche de l’étain et de l’ambre, il avait déjà mesuré l’obliquité de l’écliptique, c’est-à-dire l’inclinaison de la Terre et en avait déduit qu’au-delà d’une certaine latitude boréale le jour est permanent en été et inexistant en hiver. Cette route du soleil de minuit fut par la suite empruntée par bien des navigateurs. Saint Brendam et les moines navigateurs. Puis au IXe siècle les Vikings, qui de l’Islande se projetèrent au Groënland et au Labrador à l’aide de leurs prodigieux navires longs de 23,16 mètres pour 5,33 mètres bas sur l’eau, peu défendus. Bien plus tard, avec surtout Jacques Cartier (1534, 1542), les navigateurs européens, comme aujourd’hui, cherchèrent une voie plus courte pour se procurer la soie et les épices. Bien des navigateurs s’y illustrèrent ou y périrent comme le Hollandais Willem Barents qui donna son nom à la mer où se trouve aujourd’hui la Flotte du Nord russe près de Mourmansk. Bougainville à son tour chercha la route polaire de la Chine. Recherche de la mer libre du pôle, conquête du pôle, concurrence nationaliste au XXe siècle, l’Arctique a été un espace envoûtant, convoité, sollicité.
Durant les deux guerres mondiales, mais surtout la Seconde l’épopée des navires alliés qui transportaient de l’armement et des équipements américains à destination de l’URSS est un des chapitres les plus héroïques du conflit. Des navires « corsaires » allemands empruntèrent la voie maritime du Nord-Est, que Staline avait ouvert dans les années 1930, et attaquèrent la station météo du Groënland. Puis ce fut durant la guerre froide la démonstration du sous-marin nucléaire américain Nautilus, qui en 1958 traversa l’Arctique en passant sous le pôle, et du Skate. Installés au Nord du Canada, au Groënland, en Islande et en Norvège, les Américains ont établi la DEW Line (Distant Early Warning Line), en passe de reprendre du service.
Pourtant, l’Arctique, contrairement à une presse à sensation, prompte à agiter des slogans (« Nouvelle guerre froide en Arctique »…), apparaît surtout une zone de paix et de dialogue, celle-ci se déployant dans une série d’organes de coopération régionale, au premier chef du Conseil arctique créé en 1996. Simple organe de concertation et de dialogue dédié à la protection environnementale, le Conseil arctique a adopté récemment des accords contraignants dans le domaine de la recherche et du secours en mer en 2011, et en matière de lutte contre la pollution maritime et des marées noires en 2013. Le fait que ce Forum se soit élargi à une dizaine d’observateurs permanents, comme la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne la Pologne, l’Italie ou la Chine et que pas moins d’une quarantaine de pays aient montré leur intérêt à suivre ses travaux témoignent de son importance croissante et de l’intérêt suscité par la communauté internationale aux questions arctiques. La mondialisation de l’océan glacial arctique est en marche. Cette zone retirée des affaires du monde s’y frotte, mais ce processus sera lent et non sans contradictions. L’Arctique n’est pas près de perdre sa spécificité, ce qui en rendra la banalisation malaisée et incomplète, mais l’ère des explorations semble désormais close.