Agrégé d’histoire et journaliste pour Le Figaro et Le Point en Asie du Nord-Est pendant près de vingt ans, Sébastien Falletti a mené une véritable enquête sur les arcanes de la dynastie de Kim. Celle-ci l’a mené tant à Séoul qu’à Pyongyang, à Tokyo, Washington, New York, où se sont réfugiés la tante et l’oncle de Kim Jong-un qui avaient fait figure de ses parents d’emprunt lors des années qu’il passa à Lausanne dans l’intimité apparemment la plus totale, mais aussi à Guam et Osaka.
C’est grâce à sa connaissance du milieu social et culturel et des méandres secrets du pouvoir nord-coréen qu’il a pu lever le voile qui entoura si longtemps le troisième leader de l’unique dynastie communiste de la planète. Son père, Kim Jong-il, portant des lunettes teintées, et muni de chaussures à semelles compensées pour rehausser sa petite taille. Homme secret et excentrique, il avait un faible pour les belles danseuses et les films d’Hollywood. Il eut trois maîtresses officielles, dont la préférée, d’origine japonaise, Ko Yong-hui, dont les Coréens du Nord ignorent semble-t-il encore le nom, issue de la communauté coréenne installée au Japon depuis des lustres, mit au monde trois enfants.
Cela explique la passion secrète que nourrissait pour le Japon, le fils du fondateur de la dynastie nord-coréenne malgré le fait qu’il s’agissait de l’ancienne puissance coloniale dont la main avait été dure de 1895 à 1945 dans la péninsule. Fait aggravant, son beau-père, Ko Gyon-tek, le grand père de l’actuel dirigeant qui avait décidé de revenir en Corée du Nord en 1961, fut ouvrier dans une usine textile travaillant pour l’armée impériale, d’où le secret qui entoura les amours du leader suprême.
Ce n’est pas l’aîné Kim Jong-chol, né en 1981, à l’apparence androgyne mais le cadet, né en 1984, Kim Jong-un, né en 1984, qui fut propulsé comme successeur de son père, en octobre 2010, quelques mois avant la disparition, en 2011, de celui-ci. C’est dire que le jeune Kim qui s’est appuyé sur ses frères et sœur, sa mère étant décédée en 2004 dans une clinique de la banlieue parisienne, où son fils se serait rendu, s’est senti très vite seul et a dû se frayer un chemin parmi le sérail, en rassurant la vieille garde militaire, véritable, source du pouvoir à Pyongyang.
Tout en ayant su se montrer autoritaire et déterminé, le leader suprême qui a éliminé un de ses oncles et un de ses beaux-frères, Kim Jong-nam à Kuala Lumpur, a le caractère extraverti de sa mère, arborant ce large sourire que l’on a vu le 27 avril 2018 lors de la rencontre avec son homologue sud-coréen au village de la paix de Pan Mun Jon au milieu de la DMZ, la zone démilitarisée qui divise la péninsule sur 240 kilomètres le long du 38e parallèle. Kim Jong-un, cela a été révélé lors de l’inauguration des JO d’hiver de P’yongch’ang, s’appuie surtout sur sa jeune sœur Kim Yo-jong, qui en fait a été propulsée très vite à la lumière. Très intelligente, avec sa longue queue-de-cheval et son visage avenant, elle est davantage qu’une alliée politique, mais un appui stratégique, étant d’ailleurs la seconde femme ayant accédé au Bureau politique depuis 1948. Elle a beaucoup fait pour sculpter l’image de son aîné en insistant sur sa ressemblance physique et psychologique avec son grand père Kim Il-sung et surfant sur la nostalgie d’une époque où la Corée du Nord était plus riche que sa rivale capitaliste du Sud.
Au-delà de ces éléments de biographie personnelle, qui expliquent le fonctionnement du pouvoir dans ce pays qui a fait figure pendant soixante-dix ans de pays le plus secret du monde, ce qui reste est que le troisième Kim a dû se forger une légitimité auprès de la vieille garde, et assurer la pérennité du pouvoir, du sien en particulier, ayant accédé au pouvoir suprême à moins de vingt-huit ans. C’est l’une des raisons pour laquelle il a cherché à doter son pays de l’arme atomique conçue comme la véritable assurance-vie du pays, réussissant là où ses prédécesseurs ont échoué. Les experts occidentaux évaluent à 25 % du PIB le coût du maintien de la formidable armée nord-coréenne, l’Armée populaire de libération (APL) forte de plus de 1,2 million d’hommes ce qui la range au 4e rang mondial après la Chine, les États-Unis et l’Inde, devançant d’une courte tête la Russie, bien qu’elle ne soit pourvu que d’armes vétustes. Il reste apparemment difficile à évaluer le coût de 1 à 3 Md$ qu’a représenté la constitution de cette panoplie nucléaire, qui compterait 25 bombes.
Sébastien Falletti cherche à montrer que la Corée du Nord, qui s’est toujours méfiée de sa puissante voisine la Chine, qui a cherché à l’envahir à de nombreuses reprises et dont elle dépend pour 90 % de ses exportations (charbon, minerais, et « exportation » massive d’ouvrières du textile dans les provinces frontalières vivant dans des dortoirs séparés), s’inspire plutôt de la tradition militaire nippone, celle d’Hirohito que du confucianisme ou du maoïsme. Le militarisme, l’émotion, le racisme et l’anti-intellectualisme, comme la glorification des masses vont à l’encontre du confucianisme.
Le monde a observé, ébahi, au bras de fer américano-coréen, tel qu’il s’est développé l’été 2017 puis à la détente aussi rapide qu’inattendue qui a abouti à la rencontre historique du 12 juin 2018 à Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un, que celui-ci a eu l’humour de dire qu’elle ressemblait à de la science-fiction. C’est que Pyongyang, comme le conclut l’auteur est non seulement passé maître dans l’art de l’intrigue mais son leader, qui forme avec le Président américain un tandem tonitruant sur la scène internationale, s’est avéré un négociateur avisé, un fin psychologue, sinon un habile manipulateur. Il est bien entendu trop tôt pour savoir comment la Corée du Nord répondra aux 47 questions que viennent de lui présenter Mike Pompeo et le Département d’État. On trouvera dans le livre de Sébastien Falletti, sinon des réponses, mais bien des clefs éclairant le soudain dialogue qui a fini par se mettre en place depuis le Nouvel An, contre toute attente.