La parution de l’album de vingt-trois gouaches de l’artiste peintre Jean Peyrissac par Les Éditions Michalon (avec le soutien de la Mission du Centenaire) constitue un événement remarquablement rare relatif à la création artistique de la Première Guerre mondiale. Cet album constitue un témoignage exceptionnel, éclairant un épisode du Front d’Orient de la Macédoine et plus précisément de la ville de Monastir (aujourd’hui Bitola).
Le jeune Peyrissac, âgé de 19 ans, engagé volontaire pour quatre ans, devançant de deux ans l’âge officiel, part en Lorraine, et en Artois, pour être envoyé par la suite par bateau sur « le Melbourne, le 5 janvier 1917, direction le port de Salonique (Thessalonique), en Grèce, puis la Macédoine ». Il sera engagé dans le 2e groupe du 21e Régiment d’artillerie de l’armée coloniale. Au bord de la Vrina, et autour des plaines de la Cerna, Jean Peyrissac, artiste non reconnu comme peintre, à l’époque, consacre sa passion aux esquisses qu’il dessine au moment de repos, pour réaliser ses gouaches de couleurs chaudes et flamboyantes, présentées dans l’album qui vient paraître. L’artiste est un fin observateur de groupements sociaux (femmes, enfants, hommes) et révèle au-delà d’une image quotidienne de la population, des descriptions de scènes de bombardements de Monastir, et l’exode de la population turque. Par ailleurs, Jean Peyrissac prend comme objet d’étude ces populations et fait un examen approfondi de coutumes et certains aspects ethnologiques, comportements et usages locaux.
Lorsque Peyrissac dessine les femmes, il pointe particulièrement des modèles de conduite sociale où l’on les perçoit corpulentes, dotées de cruchons d’eau, devançant l’homme qui les surveille et les suit derrière, portant une branche en bois, à l’épaule. Si nous voyons en un instant la femme dévouée à son mari allongé, elle est souvent dessinée de dos, et représentée dans le rôle de la mère, près de ses enfants. Les tapis rouges rosés sont l’endroit de vie de ces populations installées, selon la coutume, par terre. Une gouache portant au centre, un four où des femmes font la queue, en vue de cuire leur galette de pain, démontre un épisode distinct correspondant au quotidien de ces populations. En outre, Jean Peyrissac veille avec un brin d’humour ces groupes sociaux, en accompagnant les gouaches d’une légende empreinte d’un jeu d’esprit (Un Mari jaloux, Le Jeu du cric-crac, Une romance macédonienne…).
Ces gouaches tissent particulièrement le fil conducteur d’une riche technique de peinture audacieuse à la mesure de pigments colorés et veloutés, en rouge, rouge rosé, orange, noir et blanc. Si ces teintes sont puissantes et opaques comme les traits des gouaches le veulent, les reliefs ornés de la broderie montrent les formes géométriques des costumes populaires des femmes avec une nette ressemblance aux figures des tapis ; ainsi permettent-elles de créer des repères culturels sur les configurations ethnologiques et le folklore de ces régions.
En représentant le jour de marché – le bazar – Peyrissac exprime une magnificence chromatique, un regard hautement esthétique, qui souhaite sublimer par des couleurs vives et triomphantes. Bien que l’existence des Poilus et leur cohabitation avec l’armée anglaise ne nous échappent pas, la scène du marché culmine par le déploiement de rapports harmonieux de rouge et de rouge orangé, rouge roux au regard d’autres couleurs qui ressortent, comme le vert et le jaune. Une perception lumineuse et colorée de groupements ethniques, de pots, de légumes, d’habits où le mouvement et l’infinité de teintes puissantes deviennent une expression vigoureuse de la lumière.
Il convient de féliciter à cet égard la présentation de Stéphanie Fauconnier Peyrissac, chercheuse en histoire de l’art, pour l’apport précieux de documents et gouaches de son grand-père, Jean Peyrissac, ainsi que la précision édifiante de l’archéologue du front macédonien, Éric Allart qui décortique et introduit ces gouaches dans le contexte historique en décrivant soigneusement les planches.