Voilà un livre passionnant, décapant, on pourrait dire terrifiant en ce qu’il dévoile au lecteur, pourtant averti, les dérives et les pratiques mafieuses d’une démocratie emblématique, miroir de nos sociétés.
La thèse de l’auteur est, en gros, que la perte progressive de contrôle sur les décisions politiques majeures aux États-Unis a fait que le pouvoir a été confisqué de façon occulte, non démocratique, par des groupes de pression et que cette situation a totalement perverti le système politique américain et a notamment conduit au drame du 11 septembre 2001.
L’immense mérite de cet ouvrage est de s’appuyer sur un appareil de notes et de références, une bibliographie — près de 150 pages au total — très complètes et variées qui viennent étayer pas à pas la démonstration de l’auteur.
Partant d’une réflexion sur les États-Unis où les inégalités sociales, la faiblesse de la société civile au niveau fédéral, la puissance des intérêts particuliers, l’auteur, qui n’est pas particulièrement un néo-conservateur, mais plutôt un libéral, tendance gauche, dresse un tableau saisissant de ce qu’il appelle l’État profond. Il décompose le processus historique où les pouvoirs secrets verticaux se sont emparés de la conduite de l’action publique, et où la prise de décision politique à huis clos accorde la priorité à la sécurité et à la préservation d’intérêts privés particulièrement ceux des exportateurs d’armements et des firmes pétrolières.
Son analyse est particulièrement pertinente et convaincante dans sa description de la politique du trio Nixon-Kissinger-Rockefeller, censée contrer les progressistes et qui a conduit à renforcer les mouvements réactionnaires islamistes, mais aussi à soutenir les intérêts des pétroliers. Il met en évidence le rôle de Nixon ou plutôt sa paranoïa dans la dégradation du processus bureaucratique et démocratique de mise en œuvre de la politique et dans l’amplification du pouvoir secret. En passant il faut noter une analyse intéressante du Watergate.
À ce stade apparaît le couple diabolique, aux yeux de l’auteur, Cheney-Rumsfeld et son implication dans la planification du projet ultrasecret de Continuité du Gouvernement (COG) qui cacherait, selon l’auteur, un programme de prise de pouvoir illégal et dont il traite longuement à propos du déroulement des événements du 11 septembre pour expliquer certaines incohérences dans la version officielle.
Il continue sa démonstration avec Ford-Rumsfeld-Cheney, le virage vers le conservatisme et le début de l’envol des budgets de défense. On parle de la BCCI. Puis l’ère Carter-Brzezinski et l’Irangate. Enfin Reagan, Bush et le triomphe des neocons et du couple Cheney-Rumsfeld. Comment ils ont préparé le renversement de Saddam Hussein et comment ils doivent être considérés comme suspects dans le procès des responsables du 11 septembre.
En conclusion ce livre démêle les intrigues et l’écheveau d’imbrications et de liens, souvent occultes, entre tous les acteurs de ce théâtre d’ombres. On y parle beaucoup de la CIA, en particulier de la collusion historique entre la CIA et l’ISI pour le soutien à l’islamisme dur et aux trafiquants de drogue. Il décrit le long cheminement vers le 11/9. Plus largement ce livre critique le projet américain de domination mondiale, s’appuyant sur une machine de guerre hors de contrôle et dont la recherche d’ordre et de sécurité produit un désordre et une insécurité accrue. Il s’agit de comprendre comment nous sommes arrivés au désastre du nouveau désordre mondial.
Vous l’aurez compris ce livre est passionnant, particulièrement en ces temps de Wikileaks. Mais le lecteur armé de son sens critique ne manquera pas de relever le caractère partisan de cet ouvrage ; ce qui fait son charme, mais ce qui peut gêner surtout quand la thèse du complot émerge ici ou là.
À ces restrictions près, cet ouvrage étonne par son originalité et sa puissance d’analyse. Il devrait être un ouvrage de référence pour tous les défenseurs de l’État de droit et pour tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de nos démocraties.