
Deux ans après le vote historique du 24 juin 2016 qui vit le Royaume-Uni larguer les amarres de l’Union européenne, le journaliste Marc Roche nous livre une solide analyse prospective sur l’avenir d’Albion à l’ère du Brexit. Longtemps journaliste financier au Monde et fin connaisseur de la City, cet ancien « remainer de cœur » devenu « brexiter de raison » s’attache à mettre en lumière les atouts d’un Royaume-Uni qui a renoué avec son ADN historique en faisant le choix du grand large. Sans nier les difficultés transitoires auxquelles Londres sera certainement confronté à l’occasion de son divorce avec l’Union européenne (en raison notamment de la rigidification brutale de ses échanges avec le continent), Marc Roche montre que, sur le long terme, la Grande-Bretagne va en réalité transformer avec succès l’essai du Brexit.
« L’Angleterre, loin de s’effondrer, va se renouveler » proclame ainsi le biographe d’Elizabeth II, la dernière reine (La Table ronde, 2007). Comment ? Tout simplement en tirant profit d’avantages comparatifs uniques dans un nouveau contexte de souplesse et de liberté retrouvée.
Car les avantages de Londres sont nombreux. Poumon du monde financier, la City continuera de bénéficier d’une attractivité sans pareil hors de l’Union européenne, se positionnant comme une plate-forme financière offshore disposant d’une grande liberté en termes de régulation. Sur le plan social, la culture inégalitaire britannique apparaît également comme un facteur de succès, cette forme de darwinisme étant le gage d’une grande souplesse sur le marché du travail, souplesse qui ne fera que croître après le Brexit. Dans le domaine économique, le Royaume-Uni hors de l’Europe va pouvoir renouer des alliances en toute liberté et débrider ses capacités d’export : Londres sera demain la tête de pont des investissements chinois en Europe – comme le montre le projet de centrale nucléaire de Hinkley Point – et, après une phase de transition plus ou moins délicate, un leader renouvelé dans le domaine de l’exportation automobile et agricole. Dans le domaine du transport maritime, l’Angleterre restera la plaque tournante du shipping mondial. Dans le champ du savoir, Marc Roche explique pourquoi la Grande-Bretagne a peu de raisons de craindre pour son statut de leader de l’économie du savoir, le Brexit n’ayant aucune chance d’affaiblir la position dominante du système universitaire et de la recherche britanniques, dont la solidité ne doit rien à l’Union européenne. Par ailleurs, en retrouvant la pleine maîtrise de ces frontières, Londres va pouvoir mettre en place un système d’immigration choisie et adaptée aux besoins de son économie. Pour couronner l’ensemble, tous ces atouts sont cimentés par le soft power britannique, cette force d’attraction et de rayonnement qui soutiendra demain le particularisme du Royaume-Uni hors de l’Union européenne.
Mais celui qui fut chroniqueur du Brexit pour Le Point et Le Soir nous offre surtout une analyse politique de premier plan sur les ressorts du Brexit, manifestation éclatante de la bonne santé démocratique du Royaume-Uni. Marc Roche montre ainsi comment le Brexit a « tué le populisme » outre-Manche : en canalisant le mécontentement d’un peuple méfiant à l’égard de la superstructure bruxelloise et inquiet pour ses frontières, le Brexit a permis une catharsis. De ce point de vue, le vote anglais apparaît comme une excellente leçon de démocratie de la part d’un peuple farouchement attaché à sa liberté politique.
S’agissant du champ de la défense, les analyses de l’auteur sont en revanche en retrait, Marc Roche se limitant à souligner l’effet paradoxal du Brexit sur le renforcement des liens franco-britanniques dans les domaines diplomatiques et militaires, dans un contexte où Paris et Berlin ne pourront selon lui jamais s’allier véritablement, en raison de cultures trop différentes.
Au total, Le Brexit va réussir est un essai qui se lit d’un trait, comme un bon article. Un essai qui donne le goût du grand large, ce grand large dont parlait Churchill lorsqu’il disait au général de Gaulle à la veille du 6 juin 1944 : « Chaque fois que nous aurons à choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large. » L’avenir dira si ce choix était le bon.