Ce mook vient judicieusement compléter la foison éditoriale liée au 75e anniversaire du D-Day en Normandie avec de nombreux articles richement illustrés complétant et renouvelant ainsi la connaissance de cet événement majeur. Ce volume de 226 pages aborde notamment les opérations essentiellement américaines autour de la place de Utah, à l’entrée Est de la presqu’île du Cotentin.
Dans la mémoire collective, Utah est souvent oublié par rapport à Omaha où les pertes furent dramatiques au matin du 6 juin, d’autant plus que la manœuvre se déroula assez facilement avec peu de tués. Or, l’objectif recherché à partir de la base du Cotentin était la saisie au plus vite du port de Cherbourg considéré comme essentielle pour assurer la logistique de l’opération Overlord. Cette phase importante de la bataille de Normandie est judicieusement mise en perspective au début de l’ouvrage.
En effet, il était nécessaire selon les calculs des logisticiens de délivrer 38 000 tonnes quotidiennement dont la moitié en carburant et munitions. D’où l’idée innovante de construire deux ports artificiels, les Mulberry A à Saint-Laurent et le B à Arromanches en attendant Cherbourg. La tempête du 19 juin aura cependant raison des installations du secteur américain, Arromanches ayant résisté et remis en état très vite. Les différents articles illustrent tous ces aspects qui ont donc été décisifs. Les photos et les cartes permettent de mieux comprendre pourquoi la bataille de Normandie a été aussi longue et féroce tant du côté des combattants que des populations civiles normandes avec environ 20 000 morts en grande partie dus aux bombardements alliés sur la quasi-totalité des villes et des bourgs.
La guerre des haies provoquée par un bocage très dense est présente quasi continuellement dans tous les articles. Il est ici nécessaire de la rappeler car le paysage de la compagne normande a profondément changé depuis 1944 avec un remembrement agricole qui a vu la destruction de ces obstacles physiques très favorables au combat défensif, que les Allemands surent mettre à profit, malgré la supériorité aérienne de l’aviation alliée. L’apprêté de la résistance de la Wehrmacht a obligé à un changement de tactique et à l’adaptation du matériel comme le Sherman Tank Dozer avec sa lame permettant de percer les talus.
La bataille de Cherbourg a été également cruelle avec la volonté allemande de résister jusqu’au bout, y compris lorsque la presqu’île du Cotentin fut coupée en deux, isolant le port et sa garnison, à partir du 19 juin. Ce n’est que le 27 juin que les Allemands se rendent et que la ville est enfin saisie mais suite au combat le port a été systématiquement détruit, limitant l’apport de celui-ci pour assurer la logistique. Cette dimension négative obligeant à utiliser Arromanches durant plusieurs mois, tandis que Cherbourg montait peu à peu en puissance mais sans attendre l’objectif de 140 000 tonnes par semaine, aura de graves conséquences opérationnelles qui aboutiront à l’essoufflement allié à l’automne 1944. De plus, ce site portuaire est à l’extrémité de la Normandie et les élongations s’accroissent alors même que le réseau ferré se limite à la ligne Cherbourg-Caen et que les routes sont alors étroites, encombrées de carcasses de véhicules allemands et peu adaptées à supporter un trafic intense. Par contre, le génie allié va construire très rapidement et aménager de multiples terrains d’aviation qui vont permettre notamment l’évacuation des blessés par voie aérienne vers l’Angleterre, les hôpitaux de la région ayant été fortement endommagés et ayant déjà du mal à traiter les victimes civiles.
Il faut souligner un bel article sur la 2e Division blindée du général Leclerc retraçant sa formation dès 1940 et ses engagements en Afrique, puis son entraînement en Angleterre avant son débarquement début août. Elle est engagée immédiatement au cœur de la Normandie pour la réduction de la poche de Falaise. Cette partie de l’épopée de la 2e DB est souvent oubliée alors qu’elle prépare depuis l’Ouest l’arrivée de cette grande unité pour la libération de Paris, dont l’importance était essentiellement politique, en particulier pour le général de Gaulle et le GPRF.
Ce mook de la collection 1944 est donc particulièrement intéressant et réussi, mêlant judicieusement des épisodes microtactiques à des descriptions globales du théâtre. Certes, les articles sont courts mais ils apportent des éclairages pertinents et renouvelés sur la bataille de Normandie dont la dimension stratégique a été décisive pour la chute de l’Allemagne nazie. On attend désormais les suivants.