Depuis 1984, la commémoration du D-Day est devenue une affaire nationale permettant de multiples lectures militaires, diplomatiques et politiques par les autorités avec une double dimension. D’une part, la diminution inéluctable des vétérans et d’autre part, l’accroissement des connaissances historiques avec de nouvelles approches permettant de mieux comprendre cette Journée historique et la Bataille de Normandie.
Ainsi, la participation française au Jour J a-t-elle eu une dimension mémorielle très particulière en raison de l’affrontement politique en juin 1944 entre le général de Gaulle et les Alliés, peu empressés de reconnaître le chef de la France libre comme l’autorité politique légitime pour administrer la France en voie d’être libérée. Il fallut toute l’énergie du Général pour s’imposer définitivement et prendre possession de la sous-préfecture de Bayeux le 14 juin symbolisant ainsi la souveraineté nationale ainsi renforcée. Et de fait, le 6 juin fut pendant longtemps une date fêtée plus par les Alliés que par les Français. Le président Mitterrand modifia la donne à partir de 1984 avec des commémorations toujours plus émouvantes au fil du temps.
Ce 75e anniversaire avec les ultimes vétérans vivants s’est inscrit de plus dans un contexte diplomatique complexe où les États-Unis de l’Administration Trump de 2019 semblent ne plus être dans la continuité des États-Unis de Roosevelt de 1944. Toutefois, le consensus a été préservé avec des symboles forts entre les Alliés et le rappel discret mais réel que la France est désormais le premier allié opérationnel du Pentagone, ce qui n’était guère le cas en 1944 où les forces françaises restaient très en retrait par rapport aux armées anglo-saxonnes. Pourtant la présence militaire française le 6 juin ne fut pas si négligeable que cela et dépasse le commando Kieffer, seul réellement ancré dans la mémoire nationale.
C’est le mérite d’un jeune historien, Benjamin Massieu, de remettre ici en perspective les plus de 3 000 militaires français qui furent engagés le D-Day et qui contribuèrent ainsi au succès de l’opération Overlord et portèrent haut les couleurs de la France.
Son livre très richement documenté reprend ainsi sur plus de 400 pages ce que fut cette participation nationale mais également comment celle-ci s’est inscrite dans le processus de reconstruction d’une armée qui avait été battue en mai-juin 1940 et qui, divisée, va se reconstituer d’une part avec le général de Gaulle dès le 18 juin et d’autre part avec Vichy, bénéficiant des ressources de l’Empire. Certes, la réunification des forces fut très douloureuse à partir de novembre 1942 mais au printemps 1944 l’armée française est au combat avec principalement le Corps expéditionnaire français commandé par le général Juin engagé en Italie et qui va d’ailleurs rentrer dans Rome le 5 juin 1944, sans oublier la Corse libérée dès 1943.
La question alors est la participation au débarquement, sachant que les Alliés prévoient d’engager prioritairement nos forces pour le deuxième débarquement prévu en Provence à l’été 1944.
Le commandement français, avec en particulier l’amiral Lemonnier, va obtenir un minimum de présence pour Overlord, les Britanniques ayant conscience de la dimension politique de cette contribution pour la suite des opérations sur le territoire français.
L’ouvrage de Benjamin Massieu retrace ainsi de façon chronologique ce long parcours de nos forces souvent chaotique les amenant jusqu’au 6 juin soir avec la mise en perspective de faits qui restaient enfouis dans les archives. Alternant présentation des événements et témoignages des acteurs directs, il met en lumière l’action de ces 3 000 militaires aux parcours individuels et collectifs très différents depuis juin 1940. Il y a ainsi les 38 parachutistes affiliés aux SAS britanniques qui seront largués en Bretagne, dans le Morbihan, près de Plumelec. Les 2 600 marins arment, quant à eux, 12 navires dont les deux croiseurs les plus modernes de ce qui reste de la flotte française, le Georges Leygues et le Montcalm qui vont bombarder les batteries allemandes de Coleville-sur-Mer pour appuyer les troupes américaines qui débarquent sur le page d’Omaha.
Les 227 aviateurs mettent en œuvre 135 appareils, chasseurs et bombardiers et participent aux opérations de bombardement et de soutien aérien. Sans oublier les fameux 177 fusiliers marins du commando Kieffer, dont l’épopée est mieux documentée et qui constitue un des épisodes du film Le jour le plus long dont Philippe Kieffer fut d’ailleurs un des conseillers lors du tournage en 1961-1962.
Cet ouvrage constitue un apport de qualité à l’abondante production bibliographique autour du D-Day en rappelant cette participation militaire française certes modeste quantitativement mais essentielle sur le plan politique, en permettant au général de Gaulle d’imposer définitivement son autorité. On ne peut qu’encourager Benjamin Massieu à écrire la suite consacrée à la Bataille de Normandie.