Au moment où était célébré avec ampleur, le 75e anniversaire du débarquement du 6 juin en Normandie et que les chaînes télévisées programmaient les grands films relatant cette épopée – Le Jour le plus long et Il faut sauver le Soldat Ryan – il paraît bien utile de se plonger dans le livre documenté et argumenté de Dominique Lormier. Lieutenant-colonel de réserve, membre de l’Institut Jean Moulin, auteur de nombreux ouvrages, il met à jour des vérités méconnues ou dénonce des idées préconçues.
L’une de celles-ci, des plus fortes, étant que le débarquement a été l’œuvre en premier de l’armée américaine et que la résistance française n’y a joué qu’un rôle secondaire. Or, l’examen des seuls chiffres mérite de relativiser cette assertion. Les effectifs engagés lors du débarquement et de la bataille de Normandie rappellent l’apport capital des forces militaires britanniques, canadiennes et françaises libres, avec 1 925 000 soldats (terre, marine, aviation) de ces trois pays contre 1 527 000 soldats américains. Du 6 au 10 juin 1944, 81 445 soldats britanniques, canadiens et français libres débarquent sur les plages normandes contre 73 000 soldats américains, sans oublier 1 045 chars britanniques et canadiens, contre 433 chars américains. Pour cette opération du D-Day, les flottes britanniques, canadiennes et françaises libres engagent 1 619 navires de transport, 348 navires de guerre et 1 145 barges de débarquement, tandis que la flotte américaine se compose de 1 188 navires de transport, 324 navires de guerre et 836 barges de débarquement. Seuls les parachutages de troupes sur les arrières des défenses allemandes sont majoritairement américains, avec 15 500 paras américains contre 6 250 paras britanniques canadiens et français libres. Il convient cependant de dépasser ce premier épisode car dans l’année qui a suivi le débarquement, les Américains représentaient les deux tiers des effectifs engagés au combat, sans parler des moyens financiers déployés. Ne diminuons pas aussi le rôle d’Eisenhower dans l’opération Overlord et de ses adjoints américains, commandants pleins d’allants Mathew Ridgway, James Gavin, Maxwell Taylor, qui ont joué un rôle important durant la guerre froide.
Quant au rôle de la Résistance française, il convient d’avoir à l’esprit qu’Erwin Rommel n’avait jamais oublié de noter, dans ses différents rapports, le danger qu’elle représentait pour les divisions allemandes. Sous l’Occupation les réseaux français de la Résistance intérieure adressent aux alliés 80 % des documents secrets qui décident du choix du débarquement en Normandie et donc du succès de la plus importante opération amphibie de la Seconde Guerre mondiale. Les réseaux d’évasion sauvent 4 000 pilotes alliés de l’emprisonnement. Le grand historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Antony Beevor, décrit cet apport de la Résistance française, dans D-Day et la bataille de Normandie (Calmann-Lévy, 640 pages). Les actes de sabotage des cheminots, des PTT, qui consista à couper les liaisons entre quartiers généraux, ou le plan Tortue qui visait à ralentir la circulation allemande avec des clous et d’autres moyens, encore, eurent un effet psychologique et cumulatif. Durant la Libération de la France en juin-septembre 1944, les maquis et les troupes françaises délivrent 50 % du territoire national et fixent par la suite l’équivalent d’une trentaine de divisions allemandes sur les fronts de l’Atlantique, des Alpes et d’Alsace d’octobre 1944 à avril 1945.
On trouvera une foule de détails et de réflexions dans cet ouvrage qui remet bien des choses les dans leur juste perspective. Ainsi, dans le déroulement du conflit lui-même de 1940-1945, la France combattante joue un rôle important dans la défaite de l’Axe à des périodes cruciales. Devant Dunkerque en mai 1940, 30 000 soldats français bloquent 160 000 militaires allemands, permettant ainsi à la plus grande partie du corps expéditionnaire britannique de rembarquer ses soldats professionnels dont les deux futurs maréchaux Montgomery et Alexander et de poursuivre la guerre en sécurisant la Grande-Bretagne. Hitler tient à préserver ses Panzerdivisionen qui vont devoir affronter 60 % de l’armée française sur la Somme, l’Aisne et la ligne Maginot en juin. Entre le 10 mai et le 25 juin 1940, l’armée allemande déplore la perte de 753 chars détruits. L’aviation allemande compte également 1 428 avions abattus en mai-juin 1940 dont 70 % sont à mettre à l’actif des pilotes français et de la DCA française. Que ce serait-il passé si l’aviation allemande n’avait pas perdu ces 1 428 avions en mai-juin 1940 ? La bataille d’Angleterre qui a sauvé ce dernier bastion resté libre aurait-elle été perdue par le Reich ?
Le lecteur trouvera bien d’autres précisions dans ce livre. À commencer par la défaite de 1940 qui n’a pas été aussi facile pour le Reich et désastreuse pour la France. Du 10 mai au 25 juin 1940, l’armée allemande déplore 170 224 soldats hors de combat (49 000 tués ou disparus et 121 224 blessés), 753 chars et 1 428 avions détruits. L’armée française compte de son côté 183 000 soldats hors de combat (60 000 tués ou disparus et 123 000 blessés), 1 900 chars et 1 247 avions détruits. Ces pertes témoignent de l’acharnement des combats, balayant les élucubrations d’une prétendue promenade militaire des forces allemandes. Sur la collaboration qui aurait été le fait que de la droite et la Résistance qui n’aurait rassemblé que des hommes et de femmes de gauche sur l’antisémitisme supposé des Français, sur l’efficacité réelle de la Résistance française que d’indications utiles, même si sur certains sujets l’exacte vérité reste difficile à établir à la vue des seules données chiffrées.
Un long chapitre, plus du quart du livre, traître de la bravoure méconnue des soldats italiens dont les corps d’élite, les alpini (chasseurs alpins), corps de montagne particulièrement bien entraîné et les bersagli (tirailleurs) réputés pour leur endurance et la promptitude de leurs assauts à la baïonnette se sont comportés plus qu’honorablement. Généralement on estime que la reddition des troupes italiennes à Gondar, le 27 novembre 1941 met fin à la guerre en Afrique orientale : rien n’est plus faux ! Près de 7 000 soldats italiens poursuivent la lutte jusqu’en octobre 1943 par une habile guérilla en Somalie, en Érythrée et, 209 en Éthiopie.
Dominique Lormier ne mâche pas ses mots, en concluant. On pense que les États-Unis ont sauvé le monde libre du nazisme par le débarquement en Normandie. On ignore généralement que 60 à 75 % des divisions allemandes ont lutté contre l’armée soviétique et que 75 % des Panzerdivisionen engagées en Normandie en 1944 ont affronté les troupes britanniques et canadiennes facilitant la victoire américaine. On ne sait pas non plus que 75 % du territoire français a été libéré par les Britanniques, les Canadiens, les Français et autres Alliés non américains. On oublie également que 75 % des divisions japonaises ont combattu en Chine et que les Américains ont affronté seulement le quart restant.