La NVA (Armée populaire nationale), constituée officiellement le 1er janvier 1956, avec ses 170 000 hommes formés à la prussienne, a été l'un des principaux piliers de la RDA et offrait un concours militaire essentiel à l’URSS sur le théâtre européen. Chacun se souvient durant la « guerre froide » du « saillant de Thuringe » d’où était censée provenir l’offensive qui donnerait le signal d’une nouvelle guerre mondiale.
La dissolution ordonnée et entièrement pacifique de cette force menée de main de maître par le Generalleutnant Jörg Schönbohm, est l’un des aspects méconnus de la réunification allemande, comme le relate Alexandre Wattin, historien militaire, qui a servi au sein des forces françaises en Allemagne de 1980 à 1984 et de 1990 à 1995. Binational il est commandant de réserve dans la Bundeswehr et le premier militaire français à avoir servi comme officier de réserve simultanément dans les deux armées. D’où sa description fouillée et argumentée de la naissance du développement de la NVA, qui mérite que l’on lui prête attention.
C’est le récit détaillé du processus qui mena aux chutes du Mur et à la réunification allemande qui nous importe, car il a ouvert une page nouvelle dans l’histoire allemande, européenne et mondiale dont tous les effets ne se sont peut-être pas encore manifestés. Le régime de la RDA était certainement condamné dès l’entrée en scène de Gorbatchev, mais les événements auraient pu se dérouler de manière différente et revêtir des aspects plus violents ou heurtés. Car jusqu’à l’automne 1989, lorsque les habitants de la RDA se mirent à manifester en masse contre la dictature du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), celui-ci disposait encore d’un appareil militaire et de sécurité de 360 000 hommes entièrement fidèles.
En 1990, les soldats de la NVA prononcèrent un nouveau serment de fidélité à la RDA désormais démocratiquement légitimée. De plus, nombre d’officiers de la RDA espéraient que la NVA continuerait d’exister ou qu’elle serait entièrement reversée dans la Bundeswehr. Mais il devint vite évident qu’il n’y aurait plus de NVA dans une Allemagne unifiée. La politique proclama « Un État, une armée ». C’est pourquoi l’histoire de la NVA prit fin le 3 octobre, jour de la réunification. Dès lors, 90 000 membres en uniforme et 47 000 civils anciens de la NVA étaient placés sous le commandement nouvellement créé de la Bundeswehr Ost sous les ordres du lieutenant-général Schönbohm. Il n’était pas question de transposer les anciennes forces armées socialistes en tant qu’institutions dans l’armée allemande de l’Ouest, mais les membres de la NVA en tant qu’individus. Malgré la désertion, le changement de mentalité, les dirigeants démocratiques élus de la RDA ont jusqu’au dernier moment eu la hantise d’un possible putsch de la part de la NVA. Ce qui a facilité le processus de dissolution de la NVA est qu'il s’est inscrit dans une série d’accords internationaux requérant une réduction d’un demi-million de membres de la Bundeswehr à 370 000 soldats jusqu’à l’an 1994. Ce processus de dissolution de la NVA fut en réalité une tâche herculéenne comme l’écrit dans l’avant-propos de l’ouvrage Rainer Eppelmann, ancien ministre du Désarmement et de la Défense de la RDA. Beaucoup d’officiers de la NVA avaient du mal à porter l’uniforme de l’ancien « ennemi de classe ». C’est pourquoi 60 % d’entre eux décidèrent de quitter volontairement le service. Environ 20 000 soldats furent d’abord intégrés dans la Bundeswehr, pour une période limitée de deux ans. La majorité des garnisons de la NVA furent fermées, leur équipement continua à être utilisé mais finalement mis au rebut ou vendu à l’étranger.
Dans l’ensemble, comme le décrit dans le détail Alexandre Wattin, la dissolution de la NVA et l’incorporation dans la Bundeswehr se sont déroulées sans anicroche. Mais à la fin seuls 10 000 hommes de l’ancienne NVA ont poursuivi leur carrière dans la Bundeswehr et il a fallu attendre vingt-quatre ans, après la réunification, pour qu’un ex-officier de la NVA soit promu au grade de général de la Bundeswehr. En fait l’unification allemande – et son statut militaire – a été rendue possible parce que Gorbatchev avait accepté que l’Allemagne réunifiée restât dans l’Otan et que celle-ci s’étendît aux cinq nouveaux Länder de l’Est à condition que les troupes américaines n’y stationnent pas. L’Allemagne a versé 12 milliards de dollars pour obtenir une évacuation de l’armée soviétique qui s’est achevée en août 1994. Le 31 août eut lieu à Berlin la cérémonie de départ des troupes russes au Treptower Park, après quarante-neuf ans de stationnement, en présence de Boris Eltsine et d’Helmut Kohl. Le 1er janvier 1995 le Corps du commandement territorial Est fut réorganisé dans le cadre de la restructuration de l’armée de terre en IVe Corps. La Bundeswehr n’a maintenu qu’un peu plus de 50 000 hommes sur le territoire de l’ex-RDA.