Docteur en géopolitique, auteur de nombreux ouvrages consacrés à la Chine, pays qu’il a sillonné en tous sens depuis vingt ans, fondateur et directeur du Centre d’études, de développement et de recherches sur l’immigration et la Chine (CEDRIC), Pierre Picquart se livre à un plaidoyer enthousiaste à l’égard du projet des nouvelles routes de la soie.
C’est une version entièrement chinoise que la sienne qui a le mérite d’afficher la couleur, mais au moins nous sommes en mesure de mieux connaître les diverses motivations de Pékin dans cette vaste entreprise, d’en découvrir les multiples ramifications. Avant de juger l’oncle Xi, voyons ce qu’il en est, sachant qu’il s’agit d’un projet gigantesque, sans pareil, dont le financement total oscille entre 4 et 8 trillions de dollars ! Il devrait se déployer sur des décennies pour culminer à la date clef de 2049, centenaire de la proclamation de la Chine populaire.
Baptisée en 1877 « route de la soie » par le géographe et géologue allemand Ferdinand von Richthofen, ce long itinéraire a longtemps été le lien unique entre la Méditerranée et la Chine, l’Orient et l’Occident. En 1988, l’UNESCO a lancé le grand projet des « Les Routes de la soie » qui s’est échelonné sur dix ans. Plusieurs expéditions maritimes et terrestres ont été préparées par cette organisation internationale pour faire revivre certains de ces tracés. En 2013, Xi Jinping a annoncé le projet des Routes de la soie du XXIesiècle avec une « voie terrestre » (la ceinture) à travers le Kazakhstan, et une « voie maritime » (la route) passant par l’Indonésie. Son plan « One Belt, one Road » a été rebaptisé « Belt and Road Initiative » (BRI) en 2017. Il propose à tous les acteurs mondiaux d’élargir ce projet à d’autres routes terrestres et maritimes, avec de grandes infrastructures connectées en Asie, en Europe et en Afrique.
Le premier axe, avec diverses voies, traversera l’Asie centrale viala Russie ou l’Iran vers l’Europe. Avec l’appui de la Russie, il y aura aussi la voie polaire, vers l’Arctique. Le second axe sera constitué par trois corridors : Pakistan vers le port de Gwadar ; Birmanie vers le port de Kyaukpyu ; Laos vers Singapour. D’autres voies maritimes, dont une qui aboutira au Pirée, en Grèce, relieront la Méditerranée et les pays européens. LaBRIva booster nos économies et la croissance, parce que ce ne seront pas exclusivement des entreprises chinoises qui participeront à la construction des infrastructures. De plus les échanges par la route et le rail vont désengorger le transport aérien plus pollueur. Enfin, ce concept va favoriser le développement le long de ces axes, au lieu d’encourager la densification des métropoles, génératrice de mauvaise qualité de vie.
Évoquant à Pékin en 2017, lors d’un forum sur la BRIavec 1 500 délégués et 29 chefs d’État, les caravanes de chameaux traversant les steppes d’Asie faisant route de la Chine vers l’Europe, Xi Jinping promeut des initiatives stratégiques au-delà de la Chine. C’est le plus grand chantier de l’histoire planétaire. C’est aussi la première fois qu’un pays va construire au-delà de ses frontières et sur plusieurs continents un projet de cette ampleur. La nouvelle mondialisation sera chinoise, avec un budget de plus de 800 milliards d’euros, soit près de six fois le budget du plan de relance Marshall lancé par les Américains en Europe. Mais la difficulté réside à concrétiser ce défi planétaire avec les dirigeants lors des visites d’État ou des forums régionaux ou internationaux, car Pékin ne convainc pas encore tous les partenaires.
Quatre autres pays dont les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, envisagent de lancer des projets alternatifs avec des infrastructures pour concurrencer et limiter l’influence croissante de la Chine. Mais il y a peu de chance que ces projets d’annonce voient le jour à court ou à moyen terme. D’autres projets s’inscrivent dans le sillage de la BRI. Avec la mise en place d’un processus de dialogue, Moscou et Pékin sont disposés à créer une zone de libre-échange. D’autres programmes concernent : la construction du couloir économique Chine-Mongolie-Russie ; la coopération Chine-Kazakhstan, Chine-Bélarus et Chine-République tchèque ; des initiatives pour le Laos, le Cambodge, le Bangladesh, le Tadjikistan, l’Arabie saoudite, la Pologne et la Hongrie.
Le projet de réseau routier asiatique Asian Highwayest une autre initiative de coopération entre des pays d’Asie et d’Europe et la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique dont l’objectif est d’améliorer et d’harmoniser les réseaux routiers en Asie. Ce projet de coopération a été signé entre 32 pays afin de permettre au réseau autoroutier de traverser tout le continent asiatique pour atteindre l’Europe. Le nouveau pont terrestre ferroviaire eurasiatique prend forme depuis les années 2000. C’est une trace presque directe entre Lianyungang et Londres passant par Kiev. Ces trois dernières années, son importance stratégique est confirmée avec la multiplication des liaisons ferroviaires entre la Chine et l’Europe occidentale (Londres, Madrid, etc.) Les échanges énergétiques sont loin d’avoir été oubliés. La « Force de Sibérie » est un gazoduc en construction entre la Sibérie et la Chine, 1 120 kilomètres de tubes ont déjà été posés en 2018. Censé acheminer le gaz russe en Chine, c’est un projet clé de la coopération énergétique entre Moscou et Pékin.