La guerre est souvent un vecteur d’innovation. À cet égard la Seconde Guerre mondiale est tout à fait emblématique. On lui doit notamment le radar, le moteur à réaction, la fusée, l’arme atomique… ; mais aussi, et ceci est moins connu, l’informatique, le DDT et la pénicilline. Cette course à l’innovation technologique a donné lieu à un intense affrontement entre les scientifiques des Nations belligérantes que nous relate ici Jean-Charles Foucrier.
Son étude commence par une galerie de portraits de quelques scientifiques remarquables, souvent britanniques au départ. On remarquera ainsi Frederick Lindemann, conseiller scientifique de Churchill et véritable éminence grise de ce dernier, mais aussi Robert Watson-Watt, principal inventeur du radar, et l’électronicien Reginald Jones qui mit au point des contre-mesures face au système de navigation Knickebein qui équipait en 1940 les bombardiers allemands.
Lindemann est aussi à l’origine de la « recherche opérationnelle », une nouvelle discipline qui permettra bientôt, par l’analyse de données statistiques, de calculer la taille optimale des convois maritimes afin de diminuer les pertes dues aux U-Boote. D’autres projets britanniques sont dignes d’être soulignés, certains tirés par les cheveux comme le projet Habbakkuk qui consistait à construire des porte-avions en glace, d’autres plus sérieux comme le port artificiel Mulberry mis en œuvre après le débarquement de juin 1944.
La mission Tizard visite les États-Unis en août-septembre 1940 et met en route une collaboration étroite entre les scientifiques britanniques et américains, notamment dans le domaine du radar décimétrique qui permettra plus tard de repérer les sous-marins allemands en surface.
Peu à peu, les États-Unis, sous l’impulsion de Vannevar Bush, principal conseiller scientifique de Roosevelt, reprennent le flambeau et le leadership de la recherche scientifique à visée militaire, les Britanniques acceptant de plus ou moins bon gré un rôle désormais subordonné. Ce fut le cas notamment dans le projet atomique Manhattan. Les scientifiques britanniques garderont, malgré tout, la main dans le domaine de la cryptographie (plus précisément celui de la cryptanalyse) avec cette véritable aventure que constitua le projet Ultra consistant à décrypter la machine allemande Enigma. Lorsque le secret-défense fut levé en l’an 2000, on apprit que le premier ordinateur de l’histoire n’était pas américain, avec l’ENIAC de 1945, mais britannique et datait de 1943. Le Colossus, premier ordinateur entièrement électrique et programmable, réussit ainsi à la fin de la guerre à décrypter les messages transmis par la « machine de Lorenz », qui codait alors les communications allemandes au niveau des groupes d’armées.
Foucrier évoque également la recherche médicale et bactériologique avec la lutte contre le typhus et les premières tentatives alliées de production industrielle de pénicilline. Il n’oublie pas de mentionner, ce qui est moins connu, les efforts mis en œuvre, quelque peu cyniquement, pour éviter que cette technologie de production d’antibiotiques ne tombe entre les mains des chimistes de l’Axe. Foucrier également évoque au passage les expériences de guerre bactériologique menées en Chine par les Japonais (la tristement célèbre Unité 731). À la différence des « médecins de la mort » allemands qui seront presque tous jugés à Nuremberg, la plupart des bactériologistes japonais réussiront à négocier leur immunité avec l’armée américaine en échange de leur savoir-faire.
Dernière application de la recherche opérationnelle évoquée plus haut, préalablement au débarquement en Normandie, le biologiste sud-africain Solly Zuckerman conçoit le Transportation Plan. Il s’agit de mener une campagne de bombardements aériens pour paralyser le système ferroviaire dans le Nord-Ouest de la France, en ciblant plus de 70 gares françaises et belges. L’idée est de s’attaquer en priorité aux centres d’entretiens des locomotives mais pas à ces dernières (afin de pouvoir ensuite les réutiliser ainsi que le réseau ferroviaire). Cette opération, déclenchée au début du mois de mars 1944, rendra plus difficiles les contre-attaques allemandes mais causera des dizaines de milliers de victimes civiles.
Si l’ouvrage de Jean-Charles Foucrier a le mérite de nous rappeler l’importance de l’effort scientifique mis en œuvre pendant la Seconde Guerre mondiale, il met surtout l’accent sur la science anglo-saxonne, les réalisations allemandes, japonaises et soviétiques étant rarement évoquées. Et pourtant dans le domaine aéronautique en particulier, il y aurait beaucoup à dire. Les Alliés eux-mêmes à la fin du conflit ne s’y sont pas trompés, comme l’auteur l’évoque d’ailleurs en quelques lignes à la fin de l’ouvrage. En 1945, en effet, « impressionnés par la qualité et l’avance technologique des armes ennemies… les Alliés se précipitent pour littéralement faire leur marché dans les rangs de la recherche allemande », et recrutent les scientifiques et ingénieurs les plus prometteurs (cf. von Braun). Comme le remarquait alors le savant britannique Reginald Jones, « exception faite de la bombe atomique, c’étaient les vaincus, et non les vainqueurs, qui détenaient les clés de l’avenir ».
Enfin, dernière réserve mineure, il apparaît assez tôt lors de la lecture du livre que l’auteur n’a pas de formation scientifique. Son texte s’en ressent parfois, notamment lorsqu’il utilise des sources anglo-saxonnes. Ainsi, le physicien autrichien Erwin Schrödinger n’est aucunement le fondateur d’une « mécanique des vagues », mais plutôt de la « mécanique des ondes » ou mécanique ondulatoire, l’expression anglaise de wave mechanics se rapportant ainsi à cette discipline. On retrouve aussi parfois quelques anglicismes (l’anglais « completion » se traduit par « réalisation » et non pas par « complétion » ; on lit « appel » au lieu d’« appel d’offres ») et quelques inexactitudes (Heinkel III au lieu de Heinkel 111, viseur Nordsen au lieu de viseur Norden…).
Ces quelques remarques n’enlèvent rien à l’intérêt de l’ouvrage de Jean-Charles Foucrier. Les chapitres portant en particulier sur la cryptographie sont ainsi particulièrement éclairants.