Pendant des années, l’historiographie dominante nous a présenté l’Espagne médiévale sous domination musulmane comme un pays de cocagne multiculturel où chrétiens, juifs et musulmans vivaient en harmonie au sein d’une civilisation brillante. L’universitaire américain Dario Fernandez-Morera nous montre ici qu’il n’en fut rien, en dépit des « entreprises académiques subventionnées qui visent à réécrire l’histoire à travers le prisme du présent ». Non seulement les non-musulmans durent subir massacres et humiliations, mais la civilisation remplacée avait atteint un niveau culturel sans commune mesure avec celui de ses envahisseurs, niveau qui fut réduit en cendres par la conquête.
En particulier, ainsi que le fait remarquer Rémi Brague dans sa préface, dans la partie de l’Espagne qui fut soumise à l’islam, il ne subsiste aucune église datant d’avant la conquête. L’ensemble des chroniques évoque au contraire la splendeur de la société wisigothique dont le niveau de civilisation était bien plus élevé que celui des Berbères qui franchirent le détroit de Gibraltar. En outre, si les Wisigoths, comme d’ailleurs les autres peuples germaniques acteurs des Grandes invasions, prirent en compte immédiatement les acquis de la civilisation romaine, « les musulmans, nous explique Fernandez-Morera, n’ont jamais vraiment assimilé les civilisations précédentes. Au lieu de cela, ils ont tiré profit de leurs connaissances et procédé à leur remplacement, en utilisant une série de pratiques hégémoniques, sociales et familiales, à caractère religieux, qui ont inexorablement changé la culture et la démographie des terres conquises, et ont fini par faire disparaître leurs anciennes civilisations ». On assiste ainsi, dès la conquête, au pillage ou à la destruction des constructions chrétiennes wisigoths et hispano-romaines.
Cet ouvrage, qui donne une importance particulière aux sources écrites de l’époque et aux découvertes archéologiques récentes, nous permet aussi de retracer les réalités quotidiennes d’al-Andalus. Elles vont de la triste condition féminine dans l’Espagne musulmane (excision et esclavage sexuel), jusqu’à l’interdiction du chant et des instruments de musique, en passant par une suite ininterrompue d’exécutions capitales (l’épisode des martyrs de Cordoue) et de massacres.
S’inscrivant dans la ligne de nouveaux historiens espagnols décomplexés, comme Serafin Fanjul et Rafael Sanchez Saus, Dario Fernandez Morera nous trace ici un portrait sans concession d’une société conflictuelle longtemps présentée comme un modèle.