Le journal en ligne Mer et Marine, traitant au quotidien de l’actualité maritime sur son site (http://www.meretmarine.com), nous propose ici un hors-série exceptionnel sur l’ensemble des flottes navales et aéromaritimes mises en œuvre par la France et ses différentes administrations. Cet annuaire fait un point exhaustif de tout ce qui flotte et vole au service de la France, et le résultat est impressionnant avec ce recensement couvrant tout l’éventail. Le document permet ainsi de voir, outre l’importance majeure de la Marine nationale, le reste du dispositif qui concourt ainsi à l’action de l’État en mer. C’est également une mise en perspective avec les projets en cours et à venir à l’horizon 2030-2040.
Le premier constat, alors que la mondialisation consacre également la maritimisation des économies et que la France doit assurer le contrôle de la seconde ZEE de la planète, est la chute du nombre de passerelles de « bateaux gris » depuis la chute du Mur avec moins 30 %. Ainsi, le nombre de frégates de premier rang n’a cessé de baisser. En 2008, il y en avait 24, alors que la cible de l’actuelle LMP 2019-2025 n’est plus que de 15 unités. Or, pour couvrir les besoins opérationnels, il serait nécessaire de remonter d’ores et déjà à 18. Il appartiendra à la prochaine LPM post-2025 de revoir les moyens à la hausse. Toutefois, le renouvellement des moyens de la Marine est cependant une réalité avec de nouvelles classes aux performances accrues qui arrivent en ligne. C’est déjà le cas avec les 3 porte-hélicoptères amphibies (PHA), véritables couteaux suisses avec une batellerie en cours de modernisation comprenant les 4 engins de débarquement amphibies rapides (EDA-R) et bientôt les engins de débarquement amphibies standards (EDA-S), et les frégates multimissions (Fremm) qui permettent de retirer peu à peu les frégates du type « F70 AA » et anti-sous-marine (ASM), dont il reste 3 exemplaires. 6 Fremm sont en service et 2 Fremm DA suivront. Il faut rappeler qu’initialement 17 Fremm étaient prévues…
L’année 2020 va également marquer un tournant majeur pour la sous-marinade. Après le retrait du service du deuxième SNA de la classe « Rubis », le Saphir à l’été 2019 après trente-cinq ans de service, le premier Barracuda, le Suffren, mis à l’eau le 1er août 2019 à Cherbourg, va débuter ses essais à la mer d’ici quelques semaines. Le Suffren va mettre en œuvre, outre les traditionnelles torpilles F21 et les missiles antinavires Exocet, les missiles de croisière navals (MdCN) permettant des frappes dans la profondeur. Il faut y rajouter également les moyens spécifiques aux forces spéciales. Les Barracuda vont apporter d’ici 2029, date de l’arrivée du Casabianca, de nouvelles capacités stratégiques majeures.
À Cherbourg, l’autre futur projet majeur concerne le SNLE 3G pour succéder aux « Triomphant », avec 4 engins dont le premier doit arriver entre 2033 et 2035.
Le domaine aéronaval met en œuvre 178 appareils à voilure fixe ou tournante, servis par 4 100 marins. Le parc est assez, voire trop diversifié. Certes, le retrait des Super-Étendard facilite la vie de l’équipage du porte-avions Charles-de-Gaulle avec une simplification de la maintenance autour du Rafale. Mais il existe des faiblesses qui ressortent dans les pages du document, notamment autour des hélicoptères. Ainsi, les Alouette III ont été mises en service à partir de 1963, tandis que les Lynx datent de 1978. La récente décision de location d’hélicoptères Dauphin et H160 va permettre de soulager la situation et d’optimiser notamment le parc des NH90 pour leur emploi. La perspective des H160 Guepard à partir de 2028 est intéressante d’autant plus que les 4 H160 loués vont autoriser un apprentissage très utile. Pour la patrouille maritime, 18 exemplaires de l’Atlantique 2 vont bénéficier d’une nouvelle rénovation pour aller au-delà de 2030. Les réflexions sur le successeur devront déterminer notamment la plateforme aérienne.
L’autre volet sera l’arrivée des drones aériens, sous-marin et marins avec un millier d’engins à l’horizon 2030. La complexité des milieux oblige à de longues expérimentations pour pouvoir disposer de capacités réellement opérationnelles et non se limitant à des démonstrations par mer calme.
Parmi les choix à venir, la décision autour du futur porte-avions est attendue avec impatience. Le programme PANG (porte-avions de nouvelle génération) sera structurant pour le demi-siècle à venir. Des questions doivent être tranchées dont celui de la propulsion nucléaire ou conventionnelle. Le parc aérien comprendra outre les Rafale, le système de combat aérien du futur (Scaf) et les E-2D. La date de 2038 avec le retrait du Charles-de-Gaulle constitue un butoir. Il en va de la capacité de la France à disposer d’un groupe aéronaval lui permettant d’agir en totale souveraineté sur les océans.
Avant le PANG, le programme des frégates de défense et d’intervention (FDI) va constituer une étape plus proche pour la flotte de surface. Et la FDI devrait également être plus facilement exportable que la Fremm jugée trop complexe par certaines marines clientes de la navale française. La Grèce pourrait constituer le premier partenaire même si les États-Unis font un très gros pressing pour vendre 4 frégates MMSC (Multi-Mission Surface Combatant). Les enjeux sont donc importants pour la FDI, d’autant plus que la concurrence européenne reste forte, y compris avec Fincantieri, malgré une joint-venture commune, Naviris, créée avec Naval Group. Aux futures FDI va également se rajouter les 6 patrouilleurs Outre-Mer (POM) dont la réalisation a été confiée à Socarenam, fort de son expérience des 3 patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG) récemment entrés en service.
Une autre composante navale va connaître une évolution majeure : la guerre des mines, avec le remplacement des 10 chasseurs de mines « tripartites » (CMT) de la classe « Eridan ». Le système de lutte antimines du futur (SLAMF) sera très différent et innovant avec une compétition entre industriels aux propositions disruptives.
La Gendarmerie maritime est présentée ici avec exhaustivité et l’on constate le besoin du renouvellement des patrouilleurs côtiers, répondant à l’accroissement des missions, notamment avec la création des pelotons de sûreté maritime et portuaire (PSMP) équipés des récentes vedettes de surveillance maritime et portuaire (VSMP). Il en est de même pour les autres administrations comme les Douanes, dont le volet lutte contre les narcotrafiquants ne cesse de se développer, en particulier dans les Antilles. Il en est de même pour les affaires maritimes qui accusent un retard dans la modernisation de ses moyens ; le dernier patrouilleur neuf étant arrivé en 2004.
L’un des atouts de cet ouvrage est en effet de montrer toute la diversité des flottes de l’État, en raison d’un éventail très varié allant du SNLE à la vedette de recherche archéologique, nécessitant une modernisation permanente et s’inscrivant dans la durée, avec des programmes pouvant s’étaler sur soixante-dix ans, comme les SNA de la classe « Barracuda » ou sur des durées beaucoup plus courtes avec des achats directs auprès de chantiers navals de type PME-ETI. On voit ici l’importance de la BITD navale qui doit être consolidée pour permettre les grands projets, mais aussi des développements locaux basés sur le dynamisme entrepreneurial et l’innovation. Le Groupement des industries de construction et activités navales (Gican) a là un rôle majeur à jouer en rappelant sans cesse que la France est un vrai pays maritime, mais qui trop souvent l’ignore.
Il faut donc remercier Mer et Marine pour ce travail exhaustif qui vient compléter celui effectué par le célèbre Flottes de combat, dont on attend avec impatience la prochaine édition 2020.
Et si Mer et Marine prévoit d’ici un an ou deux, une nouvelle version de ce hors-série, il serait judicieux d’y rajouter la flottille de la SNSM qui, si elle n’appartient pas à l’État, contribue également à la sûreté générale et au sauvetage des personnes. D’ores et déjà, ce numéro constitue une base de travail remarquable et très utile pour tous ceux qui travaillent sur les questions maritimes.