La maison d’éditions Weyrich nous propose un nouveau Mook très bien documenté sur la bataille des Ardennes en mettant l’accent sur l’emploi des blindés au cours de cette offensive majeure de l’hiver 1944-1945, mais trop souvent négligée dans l’historiographie française. En effet, après la bataille de Normandie et la libération de Paris, la mémoire nationale a plutôt conservé les combats dans les Vosges et en Alsace, car les troupes françaises y sont en première ligne alors que la bataille des Ardennes concerne essentiellement les forces américaines avec l’appoint de quelques bataillons belges sur les lignes arrière et se situe du côté des Ardennes belges. D’où l’intérêt de cet ouvrage richement illustré avec des articles apportant des éclairages très opportuns, voire novateurs sur cet épisode décisif qui vit le Reich nazi emporter ses derniers succès tactiques mais échouer sur le plan stratégique.
Un Mook n’est pas un livre historique à caractère scientifique et se voulant exhaustif. Par contre, il propose à travers d’articles et une riche iconographie de mieux comprendre un fait. Ici, c’est cette bataille qui se déroulât du 16 décembre 1944 jusqu’à la fin janvier 1945 et qui faillit compromettre non pas la victoire des Alliés, mais longuement retarder celle-ci.
Il faut effectivement en retracer le contexte : depuis le 6 juin, les Alliés sont sur le territoire français et ont progressé vers l’Allemagne avec une bataille de Normandie beaucoup plus âpre et longue que prévue dans les planifications initiales. Paris a été libéré le 25 août par la 2e DB suite au soulèvement des Parisiens et l’automne voit les troupes alliées marquer une pause tactique toute relative. Les élongations logistiques sont importantes alors même que tout le ravitaillement doit venir d’Angleterre. Les ports français restent insuffisants en raison des destructions subies et même si Arromanches avec son Mulberry B a tourné jusqu’au 31 octobre, les armées alliées ont besoin de faire une pause opérationnelle.
Du côté allemand, la baisse de la pression tactique à l’ouest est également perceptible sur le front oriental où les forces soviétiques ont aussi besoin de se régénérer avant l’offensive finale vers Berlin prévue au printemps. Hitler en profite pour concevoir une offensive dans les Ardennes visant à briser l’attaque des Alliés et à exploiter la brèche ainsi ouverte pour aller jusqu’à Anvers et ainsi capturer le port. Il s’agit de renouveler ce qui s’était passé en mai 1940 avec la percée des Ardennes et qui entraîna la défaite de la France.
La concentration des troupes avec notamment un corps de blindés puissants dont les chars Panther s’est effectuée sans que les Alliés arrivent à analyser les objectifs allemands. Toutefois, dès le départ de l’offensive, deux points fragilisent le dispositif nazi : l’absence d’appui aérien en raison d’une part de la supériorité aérienne alliée et d’autre part en raison d’une météo hivernale avec un plafond bas empêchant les avions de voler. L’autre défaillance mal évaluée est la logistique : en effet, si les Panther sont beaucoup plus performants que les Panzer 2, 3 et 4 (entre 10 et 20 tonnes) et mieux protégés, ils consomment de ce fait beaucoup plus. Or, les réserves en carburant étaient dès le début insuffisantes.
Si dans les premiers jours, l’offensive allemande est un succès tactique indéniable avec le siège de Bastogne où les Américains sont pris au piège, peu à peu, ceux-ci vont réagir avec efficacité, Eisenhower se révélant un stratège brillant, relayé par d’excellents généraux tacticiens et des troupes américaines aguerries par des mois d’engagement depuis le 6 juin. Il faut retenir ici l’article interview du colonel Haberey, en poste à l’École militaire qui nous propose une analyse stratégie-tactique tout à fait remarquable et qui fait la synthèse entre l’histoire et l’opérationnel.
Un des échecs allemands est de l’ordre éthique et moral : en effet, les exactions commises contre la population belge avec des massacres englobant des populations entières et les exécutions sommaires de prisonniers américains vont exacerber l’absence de pitié à l’égard du Reich. La capitulation sans condition était ainsi la seule issue en l’absence de concessions et de respect des lois de la guerre par les troupes allemandes fortement endoctrinées.
Ce Mook propose également de « démonter » la légende de la supériorité des chars allemands du type Panther sur les chars américains du type Sherman. Si effectivement, les blindés du Reich sont généralement plus puissants, mieux armés et mieux protégés que leurs homologues alliés, les études de retour d’expérience amènent à nuancer ce jugement. Certes, les premières séries de Sherman engagées à partir d’octobre 1942 ont vite révélé des insuffisances par rapport aux Panther et aux Tigre, mais très vite les Américains vont savoir améliorer les Sherman avec la version M4A3 avec un meilleur blindage frontal et sur les flancs. Le canon de 76,2 mm avec une vitesse initiale supérieure va se révéler efficace. De plus, conçu pour être très mobile, le Sherman va bénéficier de cet avantage au combat, avec de plus une excellente fiabilité mécanique. L’un de ses défauts rédhibitoires reste sa silhouette trop haute.
Un autre véhicule est également présenté dans cet ouvrage : le M8 Greyhound avec un canon de 37 mm. Le M8 a été conçu très rapidement et construit à partir de mars 1943 par Ford. Ce véhicule 6x6 a fait preuve de sa versatilité et de son adaptabilité à de nombreux théâtres. Il a connu également une version avec une mitrailleuse de 12,7 mm, le M20. Ces engins ont eu une carrière opérationnelle très longue et furent employés par de nombreuses armées dont les armées françaises et la gendarmerie jusqu’au début des années 1960.
En cette année 2020 riche de commémorations malgré la pandémie du Covid-19, il importe de se souvenir de ces batailles où se joua le destin de l’Europe. La bataille des Ardennes est restée dans les mémoires par son intensité et par l’échec du plan décidé par Hitler. À partir de janvier, le Reich, tant à l’est qu’à l’ouest, ne pourra plus jamais reprendre l’initiative, bousculé par les offensives alliées de part et d’autre.