En publiant ce guide de stratégie maritime, le professeur James R. Holmes annonce vouloir faire œuvre pédagogique pour tous ceux qui versent dans les affaires du monde maritime, du jeune étudiant au praticien chevronné, civil ou militaire. Mais le titulaire de la chaire de stratégie maritime au Naval War College vise en réalité avant tout les officiers de l’US Navy, et en priorité les jeunes officiers, afin de leur donner dès le berceau les bases théoriques qui leur permettront de lutter contre la « tyrannie du temps », cette pression de l’urgence qui les empêche de penser le cadre conceptuel de leur métier au cours de leur carrière.
Ni bréviaire, ni traité, ce guide de cent cinquante pages est à la fois clair, concis et d’une grande densité. Articulé en trois parties, il offre une vision étendue des principes du Sea Power et de ses piliers politiques, économiques et militaires. Et, comme tout bon stratégiste, James R. Holmes s’attache avant tout aux principes, au-delà de l’écume des procédés.
La première partie intitulée « How to generate Sea Power » identifie les bases conceptuelles de la notion de Sea Power, qui est avant tout une affaire économique. Holmes y décrit le continuum « production – distribution – consommation » permettant à une nation et à son Etat de « générer » de la puissance maritime. Ce triptyque s’incarne dans une industrie maritime nationale, des flottes de commerce et militaires, et surtout des débouchés économiques à l’extrémité des lignes du communication maritimes. Telle est l’essence du Sea Power, depuis les conquêtes coloniales jusqu’à la mondialisation contemporaine, cette mondialisation qui est aussi une maritimisation et dont l’auteur estime que l’amiral Mahan l’aurait célébrée comme une éclatante illustration de ses théories. Car l’objet du professeur Holmes est bien le fait maritime, dans lequel la volonté de commercer est centrale ; comme le disait déjà Mahan, le volet naval est secondaire et vient en support du Sea Power, dont le cœur est économique (« trade and commerce is the breathing heart of naval strategy »). Dans ce premier chapitre, James R. Holmes se livre par ailleurs à une excellente revue des six critères du Sea Power de la grille de lecture mahanienne : trois qui relèvent des dons de la nature aux nations (position géographique, contours physiques et démographie) et trois qui relèvent de la volonté des peuples (tempérament national, forme de gouvernement et volonté politique).
Ayant posé ces jalons, le professeur du Naval War College traite dans une seconde partie la question du maintien du cercle vertueux du Sea Power dans le temps. Sans surprise, le carburant de ce cercle vertueux est bien la volonté politique à la tête d’un « seafaring state » : c’est cette volonté qui fait tourner l’enchaînement « production – distribution – consommation », et cela est d’autant plus naturel que la nation concernée est structurellement poussée vers la mer par sa géographie, comme cela fut notoirement le cas pour l’Angleterre et les Pays-Bas dans l’Histoire. En guise d’illustration pratique, ce second chapitre s’appuie sur une analyse historique de l’accès des États-Unis au Sea Power au cours des XIXe et XXe siècles, alors que leur richesse terrestre ne les prédisposait pas à devenir une thalassocratie.
La chose maritime étant posée, l’ouvrage consacre ensuite son dernier volet à l’action des marines de combat en support du Sea Power, qui est avant tout « une affaire d’accès et de contrôle » selon l’auteur. Décrivant la raison d’être des marines de guerre selon une typologie « diplomatie – actions de police – opérations militaires », James R. Holmes dresse un tableau parfaitement charpenté des modes d’actions stratégiques d’une marine au service du Sea Power national. Irriguant continuellement son propos par une analyse croisée au double prisme de Mahan et de Corbett, il montre comment les visions de ces deux pères fondateurs de la stratégie navale contemporaine, produites dans des contextes différents et pour des publics différents, se complètent à merveille pour appréhender de manière équilibrée le comportement des acteurs navals, qu’ils soient dominants ou en situation d’infériorité. A cet égard, l’analyse du comportement naval chinois par James R. Holmes est particulièrement pertinente. Pédagogie oblige, l’auteur conclut son œuvre en délivrant quatre conseils à son lectorat d’officiers de marine : fuir l’orthodoxie non éclairée (cette tendance naturelle des forces armées), refuser les truismes (car les maximes empêchent de penser), savoir gérer le succès (pour ne pas s’endormir sur les lauriers de la victoire) et enfin rejeter l’hubris (qui causa la perte de plusieurs grandes nations dans l’histoire).
Ce bref guide de stratégie maritime est donc bien plus qu’une simple introduction magistrale. C’est un compendium clair et vivant, où fourmillent les références, et qui aborde la stratégie maritime par le haut, c’est-à-dire dans sa définition la plus large possible. Car le Sea Power est bien plus qu’une simple affaire de bateaux et de marines !