Alors que la dissuasion nucléaire était au centre du premier Livre blanc de 1972, dix ans après la crise des missiles à Cuba, c’est bien le renseignement qui est devenu, aujourd’hui, la pierre angulaire de notre politique de sécurité nationale. Il est notre « première ligne de défense ». Comme le déclarent les rédacteurs du dernier Livre blanc de 2013 – deux années après les attentats du 11 septembre – le renseignement s’avère indispensable, parce qu’il « sert autant à la prise de décision politique et stratégique qu’à la planification et à la conduite des opérations au niveau tactique ». On sait bien, chaque jour davantage, que pour faire face aux dangers qui nous menacent ainsi qu’aux grands enjeux du XXIe siècle, nous avons plus que jamais besoin de développer des connaissances et des capacités d’anticipation. « Connaître et anticiper », cet impératif de notre stratégie de défense et de sécurité nationale a été affirmé pour la première fois dans le Livre blanc de 2008, puis rappelé et conforté dans sa dernière version de 2013. Sans l’action des services de renseignements, il n’est guère possible de connaître de l’intérieur les multiples mouvances islamistes ni de lutter efficacement contre le terrorisme.
Avant de se plonger dans ce Dictionnaire aux multiples entrées, aussi riches que diverses, il s’agit de bien saisir le sens véritable du « renseignement », mot d’une apparente banalité. Le monde anglo-saxon, qui le dénomme intelligence, y voit trois réalités, devenues classiques depuis la définition qu’en a donné Sherman Kent, l’un des fondateurs en 1947 de la CIA (Central Intelligence Agency). Le renseignement désignerait à la fois une information, une activité et une organisation. Mais, dans une démocratie, le renseignement n’est pas tout à fait l’espionnage. En français contemporain, le mot désigne une double réalité. Il est avant tout une information particulière, marquée par des besoins spécifiques, par des considérations d’État et par le souci de sécurité. Il correspond aussi à une organisation spécifique, conçue au sein de l’État pour produire cette information, qui ne se résume pas à la seule DGSE : de nombreux organismes, analysés dans ce Dictionnaire, l’attestent. Clausewitz parlait déjà de l’« ensemble des connaissances relatives à l’ennemi et à son pays ». Le renseignement se distingue alors de l’information ordinaire qui serait accessible par « source ouverte », dans la mesure où il est détenu par des entités ou des personnes qui répugnent à le communiquer, ainsi que les moyens employés pour se le procurer. Car si tout renseignement n’a qu’une certaine durée de vie, les méthodes, elles, sont bien plus durables : on connaît l’importance de protéger ses « sources ». Le renseignement est donc un secret qu’il faut dérober. Le transfuge britannique Kim Philby le définissait comme l’« information secrète sur les pays étrangers par des moyens illégaux ».
Ainsi défini, ce renseignement ne saurait légitimement perdurer dans une démocratie s’il n’était pas utile aux responsables publics, voire indispensable à leur action. Il vise généralement, comme le souligne le Livre blanc français de 2008 sur la défense et la sécurité nationale, à leur permettre de « disposer d’une autonomie d’appréciation, de décision et d’action ». Aujourd’hui, pour combattre le terrorisme, il faut mettre en œuvre une approche complète, policière et judiciaire, mais aussi psychologique et sociale. Il faut même parfois engager des forces armées au sol, à l’instar des récentes interventions militaires au Mali et en Irak. Mais notre sécurité quotidienne dépend, en premier lieu, de notre capacité à recueillir et exploiter le plus efficacement possible les données issues du renseignement. L’expérience tragique du 11 septembre 2001, a montré que l’on avait parfois trop négligé le renseignement d’origine humaine (ROHUM). Certes, les renseignements d’origine électromagnétique (ROEM) et d’image (ROIM) offrent de nouvelles possibilités presque illimitées, à condition de maîtriser les technologies de pointe et d’y consacrer les moyens nécessaires. Mais ils doivent également être mis à l’épreuve du renseignement humain, aussi délicat soit-il. Aujourd’hui, cette course technologique est devenue vitale pour les services de renseignement : ils doivent s’adapter aux profondes et constantes évolutions (explosion des données à traiter et généralisation simultanée du chiffrement) ou bien subir un déclassement préjudiciable à la préservation des intérêts fondamentaux de leur pays. Le grand défi du renseignement français au XXIesiècle, comme celui de ses homologues européens (MI- 6, Bundesnarichtdienst), ne se limite ainsi pas à la seule lutte contre le terrorisme, bien que celle-ci soit au cœur de l’actualité et de toutes les préoccupations du moment. De façon plus profonde, l’enjeu principal pour les services est de s’adapter au cybermonde devenu le quatrième espace conflictuel, mais qui tend à englober les théâtres traditionnels (terre, mer, espace) et de préparer la prochaine guerre : la cybernétique.
Du fait de ces enjeux majeurs et du vif intérêt suscité par les affaires de renseignements, la rédaction d’un grand livre de référence s’imposait, un ouvrage susceptible de répondre à la curiosité du citoyen comme aux exigences des professionnels et chercheurs. La forme du dictionnaire répond parfaitement à ce double critère d’accessibilité et d’érudition. Pour la première fois, des professionnels du renseignement encore en activité ont pris la plume, pour analyser les concepts clés de leur métier, expliciter le vocabulaire qu’ils emploient et commenter les grandes affaires d’espionnage qui ont défrayé la chronique et, parfois, changé le cours de l’Histoire.
Plus de 250 entrées, d’Académie du Renseignement au préfet Wybot, dont certaines comportent près de dix pages, comme pour la Russie, offrent un panorama des plus complets de ce monde du renseignement, perçu au travers de ses techniques, de ses agents les plus célèbres (Richard Sorge, Markus Wolf, Reinhard Gehlen), de ses institutions et de ses notions juridiques. On trouvera également les divers milieux où il se déploie, la description des grandes opérations et succès (Enigma, opération Fortitude…). Instrument de connaissance, aide à l’action et à la réflexion, ce Dictionnaire, tant dans sa forme que son contenu, apparaît unique dans son genre.