Fils de militaire, génie littéraire précoce, membre du Comité de Salut Public et théoricien de la Terreur, guillotiné à l'âge de 26 ans en même temps que Robespierre le 28 juillet 1794, Louis-Antoine de Saint-Just fascine encore. Sa dernière biographie en langue française datait pourtant de plus de trente ans. C'est dire si cette nouvelle publication était attendue.
Saint-Just étudie le droit à Reims, où il se fait connaître notamment par une première œuvre littéraire : Organt, poème en vingt chants (7800 vers). Il assiste un peu plus tard à la prise de la Bastille, ce qui le conduit d'ailleurs à réprouver les massacres commis par la foule à cette occasion.
Ses premières luttes politiques se déroulent dans l'Aisne en tant qu'élu local et officier de la garde nationale de Blérancourt. Malgré son jeune âge, Saint-Just réussit à se faire élire à la Convention où il fait son entrée en septembre 1792. Quelques semaines à peine après son arrivée, il réussit à s'imposer comme une figure essentielle de la Montagne. Fidèle en amitié jusqu'aux frontières du népotisme, son personnage n'est pas exempt de contradictions, nous le verrons.
Son apport durant ses deux années passées à la Convention fut triple. Il participa directement à la vie politique et fut l'un des architectes de la Terreur, mais aussi, et ceci est moins connu, il joua un rôle important en matière institutionnelle, mais aussi dans le domaine militaire. Son goût pour les questions institutionnelles le conduit à critiquer le projet de Constitution proposé par Condorcet. Il joue alors un rôle essentiel au sein de la « commission de Constitution » (qui sera rattachée au Comité de Salut Public en mai 1793, ce qui lui permettra de rejoindre celui-ci). Ce travail aboutit à la Constitution dite de l'an I, du 10 août 1793.
Des notes éparses, les Fragments d'institutions républicaines décrivent alors la société idéale rêvée par le jeune conventionnel. Loin d'être un précurseur du communisme, comme certains l'ont écrit en se fondant sur les décrets de ventôse qui instaurèrent un début de redistribution des biens confisqués aux suspects, Saint-Just appelle de ses vœux une société de petits propriétaires ruraux, autonomes vis-à-vis de l’État et de ses gouvernants, corrompus par définition. L'éducation des enfants suivrait le modèle spartiate dans une volonté de créer véritablement un « homme nouveau ». Cette fibre sociale est à mettre en regard d'autres textes du révolutionnaire consacrés à l'indemnisation du chômage ou à la mise en œuvre d'un emprunt forcé. On se souvient aussi de sa formule : « le bonheur est une idée neuve en Europe ».
On a relevé plus haut la défiance de Saint-Just à l'égard des fonctionnaires, défiance qui est, du reste, nourrie par la négligence et la corruption de nombreux agents. Il les considère comme une « classe corruptrice » par essence. Lorsqu'il sera aux armées, les administrateurs des subsistances militaires, les commissaires des guerres et les capitaines des charrois devront d'ailleurs lui répondre « sur leur tête » de leur gestion. Sur le plan militaire, Saint-Just joue également un rôle important dans la rédaction du décret du 21 février 1793 qui instaure l'amalgame entre volontaires et troupes de ligne.
Au printemps 1793, la République se trouvait en guerre contre la Prusse, l'Autriche, l'Angleterre, l'Espagne, les Provinces-Unies et la plupart des États italiens. La nécessité d'organiser rapidement la levée en masse décrétée par la Convention et d'organiser le ravitaillement des armées conduisit à envoyer plus de 150 députés dans les départements en tant que « représentants en mission ». Saint-Just effectua alors une demi-douzaine de missions, auprès de l'armée du Rhin à Strasbourg en 1793, puis dans le nord de la France l'année suivante.
En Alsace, il met en œuvre une politique de déchristianisation à marches forcées et transforme les églises de Strasbourg en magasins de vivres. Il tente de franciser l'Alsace en faisant disparaître le particularisme alsacien et affecte une somme de 600 000 livres à la création d'écoles gratuites en langue française dans chaque commune du Bas-Rhin. A l'issue de la mission de Saint-Just en Alsace, fin décembre 1793, on estime que de deux à trois mille suspects ont été arrêtés.
Sa dernière campagne militaire intervint en mai 1794 dans le nord de la France où, pour l'auteur, « il paraît clair que son rôle dépassa alors celui d'un simple représentant chargé de surveiller l'exécution des plans de guerre du Comité de salut public, et qu'il s'impliqua personnellement dans la préparation des opérations dont la responsabilité ne relevait en principe que des généraux. ». Son rôle exact dans la victoire décisive de Fleurus est malgré tout discuté.
Sur le plan politique, enfin, on relève une forte proximité intellectuelle entre Saint-Just et Robespierre même si des divergences apparurent entre eux dans les dernières semaines. Malgré tout, Saint-Just fit preuve d'une relative mansuétude dans la répression des Girondins en tentant de limiter le nombre des inculpés. Pourtant généralement, relève Boulant, « il semble avoir manifesté à l'égard des suspects une intransigeance plus grande que Robespierre, qui se montrait plus circonspect et demandait fréquemment des compléments d'information. Sa responsabilité personnelle dans l'accroissement de la répression, caractéristique des dernières semaines de la Terreur à Paris, est incontestable. ». On a ici présent à l'esprit, sa célèbre formule qui sera reprise par les révolutionnaires russes de 1917 : « ceux qui font des révolutions à moitié n'ont fait que creuser un tombeau ».
Saint-Just voyait en effet dans la violence d’État le moyen le plus sûr d'assurer la victoire de la révolution sur ses ennemis mais aussi, pour Antoine Boulant, d’ « éliminer tous les individus qui, ne prenant pas une part active au processus de fondation d'une société basée sur la vertu, s'excluent d'eux-mêmes du corps social et se définissent ainsi comme ennemis du peuple. » Dans les dernières semaines de son existence, il semble toutefois assailli de doutes et note dans son carnet ces réflexions désabusées : « La Révolution est glacée ; tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l'intrigue [...] ; l'exercice de la terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais. ». Il paraît progressivement hanté par l'idée de sa propre fin. Pour certains historiens, Saint-Just semble souhaiter alors mettre un terme aux excès d'une répression ayant perdu toute valeur d'exemplarité et désormais susceptible de dresser le peuple contre le gouvernement et de compromettre finalement la Révolution.
Robespierre, Couthon et Saint-Just sont décrétés d'arrestation par la Convention le 27 juillet 1794 (9 thermidor an II). Même si ces trois hommes ne formèrent jamais un triumvirat (les grandes décisions politiques furent toujours prises par les membres du Comité de salut public en session plénière, le plus souvent en présence du Comité de sûreté générale), les membres des comités et de la Convention acquirent le sentiment qu'ils tendaient au pouvoir personnel.
Pendant les deux siècles suivants, le personnage ne laissera pas indifférent. Boulant admet que Saint-Just « est sans doute le révolutionnaire ayant inspiré le plus d'écrivains, de philosophes et d'artistes ». Jaurès lui reconnaissait ainsi, bien davantage qu'à Robespierre, « une réelle sensibilité aux affaires économiques et aux difficultés matérielles du peuple ». Sainte-Beuve critiquait le « jeune homme atroce et théâtral », que Barrès qualifiait de « frénétique et glacé ». Pour Camus, c'était un « prêtre de la vertu […], obstinément grave, volontairement froid, logique, imperturbable ».
Finalement conclut l'auteur, « sa précocité intellectuelle, son autorité morale [...], la diversité de ses domaines de compétences, son sens exceptionnel de l'organisation dans le cadre de ses missions aux armées, sa capacité à saisir sur le terrain la psychologie des combattants, sa compassion non feinte pour les nécessiteux en font incontestablement un personnage singulier. ».
Il nous faut saluer ici un ouvrage pondéré et argumenté, où chaque assertion est passée à l'aune de la critique historiographique, et dont le propos est servi par une plume précise et élégante.