À intervalle régulier, la presse fait état d’actions, plus ou moins spectaculaires, attribuées aux services secrets israéliens à l’encontre de cibles iraniennes, ou de ses alliés, comme le Hezbollah. En 2010, un virus informatique surnommé Stuxnet avait saboté des centaines de centrifugeuses à Natanz, à 250 km au sud de Téhéran, dans un site ultrasensible. Début juillet, un incendie vient de s’y produire, pour donner suite à une attaque qui a provoqué une déflagration. Comme à l’accoutumée, le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a rétorqué par le mutisme habituel mais la presse israélienne a été plus prolixe, en faisant état d’un laboratoire où est testé une nouvelle génération de centrifugeuses permettant d’accélérer le processus de production de l’uranium enrichi. Ce matériel devait être activé dans ses installations souterraines au cours des prochains mois. D’ordinaire, ces actions sont attribuées à la fameuse unité 8 200 du Mossad, parfois en étroite coopération avec la National Security Agency (NSA). C’est dire l’intérêt de ce nouveau livre portant sur les aspects totalement inédits des services israéliens : leurs moyens d’écoute, leurs capacités offensives et défensives de cyberguerre, les assassinats ciblés du Mossad, les unités d’action clandestine et d’opérations spéciales.
Sans se livrer à des rappels historiques, sans porter de jugement politique, sans s’étendre sur le conflit israélo-palestinien – des sujets ayant fait l’objet de centaines de livres – les auteurs ont souhaité aborder le renseignement israélien sous un angle purement technique, en décrivant comment fonctionnent les services (AMAN pour les militaires, Shin Beth pour le renseignement et les opérations intérieures, Mossad pour l’extérieur). Leur organisation est présentée autant qu’il est possible de la dévoiler, les raisons de leurs succès et la nature de leurs relations avec les politiques sont illustrées par de nombreux exemples. En évoquant les succès récents mais aussi les échecs, comme aussi les abus et les dérives l’image, la présentation des auteurs paraît équilibrée. Car, il ne convient pas de le dissimuler ; si le renseignement israélien est performant et a fait l’objet de louanges, il n’en est pas moins l’objet de dysfonctionnements. L’ouvrage traite donc des enjeux actuels et futurs de la sécurité d’Israël, des défis auxquels ses services sont confrontés : la lutte contre le terrorisme, qui s’est considérablement accentuée depuis le début du siècle, ou la chasse aux armes chimiques syriennes et même atomiques qui a donné lieu à des opérations. Mais c’est surtout la guerre secrète contre l’Iran, pour saboter le développement du nucléaire et préparer d’éventuelles frappes aériennes contre les installations iraniennes, qui représente le cœur de l’activité des services israéliens. Ces derniers ont déployé toute une gamme de moyens allant du sabotage aux assassinats, en passant par la divulgation de documents confidentiels tendant à prouver la duplicité de Téhéran. Cette approche technique du renseignement se concentre sur l’organisation de l’action de ses services, et la façon dont les politiques ou les états-majors les emploient, à leurs résultats et aux défis futurs. Si les auteurs ont recours au terme de « terrorisme » concernant certaines organisations palestiniennes et le Hezbollah, cela n’est pas un jugement de valeur, mais la stricte observation des méthodes utilisées par ceux-ci contre l’État hébreu : des attaques perpétrées par des groupes intraétatiques contre des cibles civiles, et destinées prioritairement à agir sur le moral de l’ennemi parce que non susceptibles de décider de l’issue du conflit. En aucun cas, cela ne correspond à un jugement sur la légitimité de leur cause.
Au terme de cette visite, commentée dans cet univers qui figure parmi les plus secrets du monde, les auteurs se hasardent à projeter leur regard vers l’avenir. Devant les incertitudes du futur, au cœur de la région du monde la plus instable depuis le milieu du XXe siècle, Israël, peuplé de 8 millions d’habitants, faisant face à un monde globalement hostile et quarante fois plus peuplé que lui, n’a d’autre choix que de poursuivre son effort en matière de défense. Il doit aussi et surtout, maintenir le haut niveau d’excellence de ses services de renseignement et de sécurité, ainsi qu’en matière de recherche, secteur pour lequel il consacre 4,3 % de son PIB (la seconde place dans le monde après la Corée du Sud). Aux yeux des auteurs, le rôle des « services » sera encore plus déterminant dans les années à venir. En effet, pour faire face efficacement aux menaces, « le travail de renseignement doit continuer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an », comme l’explique le général Amir Eshel, commandant de l’armée de l’air israélienne. Le renseignement israélien devra encore être plus attentif à la situation des pays voisins, aux réactions de leurs dirigeants, à leurs intentions et à leurs projets, tout particulièrement en ce qui concerne l’Iran et son programme nucléaire qui se poursuit encore plus intensément. Il devra continuer ses efforts pour détecter le plus en amont possible la préparation d’attaques terroristes et les infiltrations de combattants adverses contre son territoire, en employant des moyens sophistiqués de détection et de contrôle. Ces missions devront être menées dans le respect des droits de l’Homme, si Israël veut continuer à revendiquer son statut de seule « vraie » démocratie du Proche-Orient. Dans le même temps, la communauté du renseignement devra être capable de déceler et d’évaluer les opportunités de paix, et de rétablir le dialogue avec l’Autorité palestinienne, ce qui, dans les circonstances actuelles, paraît bien éloigné.