Alors que bien des esprits éclairés avaient prédit la disparition des frontières et l’avènement d’une mondialisation heureuse, voilà que les frontières, entendues dans leur sens premier comme périmètre de l’exercice de la souveraineté d’un État, sont revenues sur l’avant-scène. Michel Foucher, géographe et géopolitologue, qui a consacré une grande partie de sa riche carrière de chercheur à ce phénomène dont il est l’expert incontesté, a remis à jour son petit livre en y intégrant des observations pertinentes consacrées à la pandémie qui s’est abattue soudainement sur la planète.
Pour contenir la diffusion rapide du virus SARS – CoV2, quatre milliards d’humains étaient placés en mai 2020 dans un état de confinement, dans 188 États et territoires de tous les continents et à toutes les échelles, avec des degrés variables d’isolement. Ce fut le retour des frontières, qu’analyse le géographe Michel Foucher, grand spécialiste de la question. Confinement est issu de finis, la limite ; en Italien confini signifie frontières, limites. 35 frontières à l’intérieur de l’Union européenne ont été fermées et 10 autres soumises à un filtrage sanitaire. L’enveloppe Schengen qui avait délivré 14,3 millions de visas de courte durée en 2018, s’est coupée temporairement du monde. Ailleurs, 50 pays ont adopté des dispositifs de fermeture complète ou ciblée sur certains pays d’origine. Cette reprise de visibilité des frontières internationales a affecté le transport, surtout l’aérien, qui a assuré le déplacement de 4,8 milliards de passagers en 2018 et qui a été pratiquement mis à l’arrêt, or le transport aérien représente 35 % du commerce mondial en valeur. Un délai assez long sera nécessaire pour revenir à la normale, si cela s’avère possible. En tout cas, les humains ont besoin de lois pour n’avoir plus besoin de murs. Dans le monde de l’après pandémie, s’il advient, nous devrons apprendre à repenser nos limites territoriales et écologiques, légales et éthiques.
Le reste de l’ouvrage passe en revue « la scène frontalière contemporaine, marquée par les nombreux conflits frontaliers terrestres et maritimes et donnant lieu à des contentieux portés devant les instances d’arbitrage (CIJ, Cour permanente, ONU) ou à des négociations bilatérales amiables entre égaux (Indonésie, Vietnam) ou en rappel du principe de l’égalité des États en cas de rapports de force défavorables (Timor oriental contre les traités inégaux de partage de production du gaz imposés par l’Australie). La moitié des contentieux porte sur des enjeux géopolitiques anciens et de taille. On vient de voir comment le contentieux Inde/Chine vient de se réveiller. Dans la nuit du lundi 15 au mardi 16 juin, des troupes indiennes et chinoises en sont venues aux mains dans une vallée du désert montagneux du Ladakh (nord de l’Inde), où leur frontière fait l’objet d’un litige de longue date. Au bilan, 20 Indiens morts sous les coups ou d’hypothermie après avoir été jetés d’une falaise dans une rivière et, peut-être, 43 morts dans les rangs chinois. L’enjeu porte sur le contrôle des vallées voisines : posséder l’Aksaï Chin revient à avoir une porte d’accès soit au Cachemire, soit au sud-ouest chinois ; à l’Est, l’Arunachal Pradesh permet de menacer le nord de la Birmanie, l’est du Bengale, ou le sud-est du Tibet. Michel Foucher examine bien d’autres cas, conflits latents au Caucase, sécession en Ossétie du sud ou ce qu’il qualifie d’annexion (Crimée) et que la Russie dénomme retour. Outre les dossiers du Proche-Orient et des contentieux se multipliant en mer de Chine méridionale, l’auteur consacre un chapitre serré à l’Union européenne et ses frontières imprécises. L’Europe s’est rendue compte que ses frontières extérieures n’étaient pas maîtrisées (environ 14 000 km avec 22 États, en incluant le Brésil et Surinam, originaires de migrations, et 7 289 km de frontières pour les limites terrestres extérieures de l’aire Schengen). Comment y parvenir alors que les limites extérieures de l’espace Schengen, grand de 4,3 millions de km², ont été modifiées sept fois depuis sa mise en œuvre depuis 1995 ? Les sociétés ont besoin de limites pour se passer de murs, conclut Michel Foucher au terme de son tour d’horizon aussi bref que stimulant.