L’Iran est l’un des plus vieux pays du monde. Il s’est constitué au fil de quarante siècles bien remplis, comme le relatent Yves Bomati et Houchang Navahandi dans un livre récent. À partir d’un noyau modeste, la Médée et la Perse développèrent peu à peu une civilisation originale. Des idées aussi novatrices que le zoroastrisme, le rêve d’un empire universel régi par des lois de tolérance, y prirent naissance en même temps que de grands courants philosophiques, religieux et artistiques.
Cyrus (559-530 av. J.-C.) fut le premier shah-in-shah (roi des rois) de l’Histoire. Il organisa son empire en vingt satrapies, qui seront portées à trente par Darius (522-486 av. J.-C.) du fait des conquêtes intervenues sous son règne. Ces satrapies présentaient généralement une certaine unité linguistique, ethnique et traditionnelle. Indépendantes fiscalement, elles payaient au trésor impérial un tribut, fixé avec mesure, et devaient fournir des troupes au Grand-Roi en cas de nécessité.
Première « déclaration des droits de l’Homme » de l’histoire, le « cylindre de Cyrus » dont les inscriptions cunéiformes ont été rédigées en 538, affirme l’égalité de tous les hommes, la liberté de culte de chacun et le respect de la propriété.
L’Iran de Darius fut le plus vaste empire de toute l’Antiquité avec, à son apogée, 14 millions de kilomètres carrés. Le pouvoir de cette époque pourrait aujourd’hui être qualifié de fédéral, car les Perses surent souvent administrer leurs conquêtes en laissant subsister une extraordinaire variété culturelle, linguistique et religieuse. L’araméen est la langue officielle de l’administration. Le soft power qu’il a suscité n’est pas à négliger : à l’époque d’Ataxerxès (465-424 av. J.-C.), on assiste ainsi à une forte fascination pour l’empire perse dans tout le monde grec.
Bien que son équilibre fût parfois fragile, ce système fédéral permit d’encadrer et de stabiliser le vaste empire achéménide jusqu’à l’arrivée d’Alexandre le Grand qui, en détruisant ses cadres, précipita son effondrement. Les auteurs évoquent ici éloquemment les sacs de Tyr et de Persépolis par l’armée d’Alexandre, qui sont souvent ignorés par l’historiographie occidentale. La chute de la dynastie sassanide au VIIe siècle ap. J.-C. marque la fin tragique de ce que l’on a parfois appelé l’Iran iranien. Si elle comprit une quarantaine de rois, les règnes de quatre d’entre eux furent particulièrement marquants. Il en est ainsi de celui d’Ardéshir (226-241), le fondateur de la dynastie, réformateur de l’armée et de l’administration, esprit philosophe et humaniste. Un peu plus tard, Chapour Ier (241-272), vainqueur en 259 de l’empereur romain Valérien (fait prisonnier à cette occasion), fut aussi un grand bâtisseur et fonda la première université, Jundi Chapour. Contemporain du prophète Mani (ou Manès), il proclama une totale liberté religieuse. Le couronnement de Chapour II (309-379) fut un cas unique en ce sens qu’il fut réalisé in utero ! L’intéressé fut plus tard le pacificateur de la péninsule Arabique et le vainqueur de Julien l’Apostat, tué par une flèche iranienne (la fameuse « flèche du Parthe ») à la bataille de Ctésiphon. Selon certains auteurs, la cavalerie lourde parthe serait même l’ancêtre de la chevalerie occidentale. Mais le plus grand shah-in-shah de la dynastie sassanide fut peut-être Khosrô Ier (531-579). Sous son règne, l’Iran connut une stabilité et une prospérité économique sans précédent, un véritable âge d’or. Ce fut aussi une période de relative tolérance religieuse. On estime qu’à la veille de l’invasion arabe, un tiers de la population iranienne était chrétien. À la suite du Concile d’Éphèse (431) et des thèses de Nestorius qui professait la double nature du Christ (diophysisme), un nombre important de prêtres et de clercs se revendiquant de cette doctrine se réfugie en Perse. Une impératrice d’Iran, Marie, fille de l’empereur byzantin Maurice, est d’ailleurs chrétienne. Parmi les derniers chefs d’État sassanides figurent aussi deux femmes, ce qui montre l’ouverture d’esprit de cette période emblématique. À noter aussi au Ve siècle, l’apparition d’un nouveau prophète, Mazdak, inspiré largement par le manichéisme, mais aussi grand innovateur sur le plan social. Communiste avant la lettre, il proclama l’égalité absolue entre les hommes, et appela à la mise en commun de tous les biens, à l’abolition des classes sociales et du mariage, et même à la mise en commun des femmes…
La bataille de Navahand (642) marque la fin de l’époque sassanide et le début de la domination arabo-islamique. Entre cette date et l’arrivée au pouvoir des Saffârides en 861, deux « siècles de silence » s’écoulèrent pendant lesquels l’espace iranien fut sous administration directe arabe. Les conquérants imposèrent même leur langue comme langue officielle, l’usage du persan étant souvent interdit dans l’espace public. L’invasion arabe fut un véritable choc militaire et culturel. Un universitaire iranien du XXe siècle exprime ainsi sa surprise face à cet événement : « La défaite des Iraniens face aux Arabes à la fin de l’époque sassanide est l’un des événements les plus honteux de l’histoire de notre pays. Un grand empire cultivé fut détruit et anéanti par un petit peuple du désert affamé et famélique. Et le monstre du fanatisme religieux qui est le pire ennemi de chaque nation pénétra dans nos terres. »
Un début de renaissance politique iranienne survint au VIIIe siècle avec la révolte d’Abu Muslim contre les Omeyyades en 747. Au siècle suivant, la dynastie des Tâhirides, gouverneurs du Khorâsan et de l’est de l’Iran, puis surtout celles des Sâffarides (861-1003) et des Samanides (819-1005) enclenchèrent alors irrémédiablement cette renaissance. Samarcande et Boukhara devinrent les phares d’un renouveau culturel.
Sous la dynastie, d’origine turque, des Ghaznévides (962-1187), on assiste à la renaissance du persan (le dari). Toutes les cours princières se remplissent de poètes persans dont le plus connu est Ferdowsi (930-1020), l’auteur du Shahnamêh(Livre des Rois), grande épopée située entre mythologie et histoire. « Porte-voix de l’iranité, elle fixa aussi l’histoire et la mémoire des Iraniens, en même temps que leur langue – comme Dante le fit pour l’italien – et la forme de leur poésie », nous expliquent Bomati et Navahandi. « Le Shahnamêh constitua d’emblée une sorte d’hymne national à la pérennité de l’Iran. » On doit évidemment mentionner aussi Omar Khayyâm (1048-1131), poète et mathématicien, les médecins Abdollah Razi (ou Rhazès, 865-925) et Avicenne (980-1037), aussi mathématicien et philosophe.
On apprécie également le chapitre consacré à l’Ismaélien Hassan Sabah (né en 1056), fondateur du terrorisme moderne avec sa secte des « Assassins ». L’invasion mongole commença en 1219 et fut accompagnée d’atrocités et de destructions sans nom, dont l’Iran mit plusieurs siècles à se remettre.
Un nouvel âge d’or intervint malgré tout avec la dynastie des Safavides de 1501 à 1722, qui trouve ses origines dans une confrérie soufie. Le règne du second shah de cette dynastie, Tahmasp Ier (1524-1576) voit un premier rapprochement diplomatique avec l’Angleterre, mais c’est surtout le cinquième shah, Abbas Ier (1587-1629) dont le long règne marquera cette époque. Shah Abbas remplaça notamment le système féodal en vigueur par une structure étatique pyramidale dont il occupait le sommet, sécurisa les voies de communication et réforma le système judiciaire pour diminuer le rôle joué par le clergé. Avec l’aide de conseillers anglais, il créa une armée permanente, instruite à l’européenne, qui lui permit notamment de reprendre Bagdad aux Ottomans. S’inscrivant dans la tradition de Cyrus le Grand, il instaura une grande tolérance religieuse bien qu’il fût lui-même un musulman chiite convaincu, et finança la construction d’une cathédrale à Ispahan, la nouvelle capitale.
Une nouvelle étape vers la modernisation du pays eut lieu dans le cadre de la dynastie des Qâdjârs de 1786 à 1925. Ses dirigeants recoururent de plus en plus à l’aide étrangère. Les accords de Téhéran de 1812 conféraient ainsi aux Britanniques un droit de passage vers l’Inde en contrepartie d’une aide militaire et financière. À partir de 1844 s’y ajouta une coopération avec la France, essentiellement dans le domaine culturel. Dans la seconde partie du siècle, des instructeurs militaires autrichiens et italiens furent engagés, au grand dam des Britanniques et des Russes qui avaient déjà pris pied en Iran.
Le premier journal du pays est lancé en 1847, ainsi qu’une première université de type occidental. Des tribunaux civils sont créés, ce qui met fin définitivement à la compétence des anciens tribunaux religieux. Un second journal paraît en 1876, puis un troisième en 1885, les deux en langue française ! Malgré tout, l’immobilisme des dirigeants qâdjârsenclencha le déclin de l’Iran et permit aux puissances étrangères de contrôler une grande partie de l’État. Le renouveau ne vint qu’avec Reza Khan en 1925 qui lança une politique de grands travaux, renégocia les concessions pétrolières et laïcisa le pays (le port du voile fut interdit en 1935). Les auteurs ont choisi d’interrompre leur récit à la fin du règne du fils de Reza Khan, Mohammad Reza Pahlavi, le 16 janvier 1979, la révolution islamique et son déroulement étant à peine esquissés dans une brève conclusion.
L’ouvrage se termine néanmoins sur une note d’espoir. Les auteurs relèvent notamment la survenance d’un phénomène de désislamisation de la société iranienne jusque dans ses couches les plus conservatrices. L’évolution des modes de vie montre ainsi que l’Iran est en mouvement. L’agnosticisme voire l’athéisme s’affichent ouvertement. Les Iraniens s’intéressent de plus en plus à leur histoire et célèbrent à nouveau les fêtes et les cérémonies héritées de la période préislamique. « Il suffit d’observer l’histoire de l’Iran, concluent les auteurs, pour être convaincus de sa prochaine renaissance. » Les Iraniens ont en effet une force qui les anime : « Leur histoire qu’ils vivent toujours avec ferveur et dont ils évoquent les événements lointains comme s’ils étaient récents. »
« Peu de nations au monde, relèvent les auteurs, ont connu autant de bouleversements territoriaux, politiques et religieux. » Ce long parcours historique relaté avec clarté et de manière vivante, à travers une bonne douzaine de dynasties, permet ainsi au lecteur de mieux situer les enjeux du Moyen-Orient qui en découlent.