De 1941 à 1945, l’océan Arctique fut le théâtre d’une bataille navale parmi les plus dures et les plus longues de la Seconde Guerre mondiale. Convois et avions alliés, U-Boote, Luftwaffe et bâtiments de surface de la Kriegsmarine et de la Royal Navy, se livrent un combat sans pitié pour le fameux Murmansk Run ou passage de Mourmansk, route maritime reliant les États-Unis/Canada à l’Islande/Grande-Bretagne et dont les points de chute sont les ports de Mourmansk et d’Arkhangelsk, en URSS.
De l’avis même de Churchill, la route de ce passage est la « pire du monde ». Pour cause, une mer démontée, des creux de 15 à 20 mètres, vagues dévastatrices capables de briser les superstructures des bâtiments, féroces tempêtes de neige réduisant la visibilité à zéro, épaisse couche de glace sur les navires rendant tout déplacement des plus malaisés, icebergs, dont certains peuvent atteindre le million de tonnes ! En plus si tout cela ne suffisait pas à rendre cet espace en enfer, des ténèbres, la fameuse nuit arctique près de six mois par an, ce qui rend aveugle la chasse allemande certes, mais tout aussi éprouvante pour les équipages. Puis l’été, les nuits blanches, dont Dostoïevski avait fait un roman, qui favorisent l’aviation allemande. Couloirs de navigation extrêmement étroits.
Durant quatre années, dès l’invasion de l’URSS, le 22 juin 1941, à la demande pressante de Staline, les Alliés traversent l’enfer pour ravitailler l’Union soviétique terrassée par la Wehrmacht. L’enjeu est de taille, car comme le montre l’auteur avec une foison de chiffres, si l’aide matérielle a été importante, elle n’a été qu’une portion du matériel de guerre sorti des usines russes : la quantité d’avions acheminés en URSS ne représente que 12 % des 115 596 avions sortis des usines soviétiques ; son véritable but étant de maintenir la Russie dans la guerre. En effet, Churchill et Roosevelt redoutaient soit un effondrement de l’URSS, ce qui était possible jusqu’à l’été 1942, avant que ne s’engageât la terrible bataille de Stalingrad, soit une paix séparée, qui n’aurait maintenu que le front de l’Ouest. Il fallait fixer l’essentiel de l’effort de guerre à l’Est, se battre, survivre, consentir aux sacrifices et permettre à l’Angleterre et à l’URSS de tenir, aux Alliés d’attendre que la machine de guerre américaine atteigne son plein régime. Les Alliés n’ont pas utilisé la seule voie de l’Arctique pour venir en aide à l’URSS, la moitié de l’aide transita par le Pacifique jusqu’à Vladivostok et par le pont aérien appelé ALSIB, Alaska-Sibérie qui part de Fairbanks aux États-Unis et passe par le détroit de Béring. Le dernier quart des fournitures alliées emprunta, à partir de 1942, le corridor persan vial’Azerbaïdjan. Cette voie ne fut pas la favorite de Staline qui redoutait qu’Américains et Britanniques ne s’implantassent en Iran, à proximité des champs de pétrole ; ce sera d’ailleurs l’un des premières crises de l’après-guerre, entre l’Est et l’Ouest.
Dans ces conditions, l’Arctique s’est imposé rapidement comme la voie la plus rapide pour atteindre les ports soviétiques d’Arkhangelsk et surtout de Mourmansk, le seul libre de glace toute l’année, en raison du Gulf Stream qui baigne ses côtes. Cette voie est aussi la plus dangereuse. Avant septembre 1941, sont ainsi livrés 450 avions, 22 000 tonnes de caoutchouc et 3 millions de paires de bottes (en tout 15 millions seront livrées). Alerté par ses marins, Hitler comprend l’importance de cette « artère » et désigne la Norvège, où est installé, un régime allié, et le cap Nord « zones de la destinée allemande ». La Wehrmacht déploiera tous ses efforts pour couper cette voie et elle passera très près de cet exploit. En 1942 les convois alliés connaissent leur pire tragédie. Longtemps restée dans l’ombre de la bataille de l’Atlantique, la bataille des convois arctique est pourtant capitale pour l’intelligence de la guerre et du conflit germano-soviétique.
Qui sait que d’octobre 1941 à janvier 1942 39 avions Hurricane britanniques livrés par le premier convoi – Dervish – et pilotés par des Soviétiques participent activement à la défense de Moscou ? Qui sait également qu’en décembre 1941, au moment de la contre-offensive soviétique, 30 à 40 % des chars moyens et lourds russes sont britanniques ? Rappelons que de 1941 à 1945 près de 4 millions de tonnes de fournitures et de vivres passent par le Murmansk Run pour être livrées à l’URSS. Cela représente 7 000 avions, 5 000 chars d’assaut, des camions, du carburant, des pneus, de la nourriture, des médicaments, des vêtements, du métal et de nombreuses matières premières. En tout 98 bâtiments sont coulés par les Allemands ; 3 000 marins alliés périssent dans les eaux glaciales de l’Arctique. Pourtant, en dépit de l’importance de cette artère, « seulement » 7 % des convois sont coulés.
Pourquoi Hitler, alors qu’il fait du combat contre l’URSS sa priorité pour l’espace vital allemand ne parvient pas à sectionner cette route arctique ? C’est à toutes ces questions que répond l’auteur qui décrit les multiples convois, leur composition, leurs itinéraires empruntés et les batailles livrées. C’est à l’occasion de ces convois arctiques, comme de manière plus générale, l’ouverture d’un second front, qu’une rapide détérioration s’est instaurée entre Roosevelt, Churchill et Staline, les deux premiers doutant de la survie même de l’URSS, le troisième devenant plus méfiant que jamais à l’endroit des Anglo-Saxons. Ces facteurs ont pesé et ont alimenté par la suite le climat abrasif qui explique l’apparition de la guerre froide. À l’heure où Vladimir Poutine met l’accent sur le rôle décisif joué par l’Armée rouge dans la défaite du nazisme, cet épisode, apparemment secondaire, qui s’est déroulé dans des contrées éloignées, inconnues, revêt toute sa signification.