Jean Lopez, directeur de la rédaction de la revue Guerres & Histoire poursuit son travail d’écriture sur la Seconde Guerre mondiale avec ce nouvel ouvrage consacré aux cent derniers jours du Führer et de l’apocalypse de cette période où l’Allemagne vaincue s’effondre. En 2002, Joachim Fest (1926-2006) avait écrit Les Derniers jours de Hitler qui a inspiré le film La Chute réalisé par Olivier Hirschbiegel en 2004, où l’acteur Bruno Ganz incarne Hitler avec un réalisme confondant.
L’approche proposée cette fois-ci est différente, car elle suit la chronologie quotidienne à partir du lundi 15 janvier 1945, relatant, fait après fait, la descente aux enfers du système nazi dans un enchaînement de drames permanents.
Une donnée brute suffit à comprendre la violence de ces 100 jours : 3 millions de morts, c’est-à-dire environ 30 000 par jour et, de fait, ces deniers mois de conflit en Europe ont été les plus destructeurs et meurtriers, n’épargnant aucune catégorie de personnes, en particulier les civils, mais aussi toutes les populations sous le joug allemand, notamment les déportés, massacrés systématiquement lors de transferts inhumains. Il y a eu un véritable paroxysme de la barbarie volontairement conduite par les autorités nazies, sous l’impulsion d’Adolf Hitler. Son refus de quitter Berlin s’est accompagné d’une politique de la terre brûlée destinée à châtier son propre peuple, y compris son entourage immédiat.
Confirmant les travaux d’autres historiens, Jean Lopez souligne que le fanatisme des combattants allemands – en particulier les plus jeunes, endoctrinés au sein des Hitlerjugend – a perduré quasiment jusqu’à la fin. Les exécutions massives de déserteurs ou de soldats livrés à eux-mêmes, se sont succédé jusqu’au bout, traduisant la violence intrinsèque au nazisme et à ses sbires.
Au fil des jours où les catastrophes s’accumulent, il ressort la désunion et la rivalité croissante des dignitaires nazis s’efforçant de trouver des échappatoires individuelles. Ainsi, Himmler a discuté avec le comte suédois Folke Bernadotte. Celui-ci a obtenu la libération d’environ 15 000 déportés, mais dans des conditions qui ont été discutables. Heinrich Himmler, le maître absolu de la Waffen-SS, a essayé d’entrer en contact avec les Alliés. En vain. Après le 8 mai, il cherchera à s’enfuir avant de se suicider le 22 mai après son arrestation par les Anglais.
De son côté, Hermann Göring, chef d’une Luftwaffe en déliquescence, a cru pouvoir négocier. Son initiative est contrée par Martin Bormann, dont la responsabilité apparaît écrasante dans la répression contre les Allemands eux-mêmes. Il a su isoler le Führer, accroissant ainsi sa paranoïa et ses délires. M. Bormann a ainsi marginalisé les chefs militaires généralement lucides sur l’ampleur du désastre en cours, mais serviles comme Keitel et Jodl, qui le paieront de leur vie à Nüremberg.
Paradoxalement, au fur et à mesure que les troupes soviétiques se rapprochent de Berlin, la fascination d’Hitler n’a cessé de croître pour Staline. Le pendant du Führer à Moscou l’impressionne pour avoir su résister en 1941 et retourner la situation – au prix du sacrifice de millions de Soviétiques, militaires ou civils, hommes et femmes, des enfants aux vieillards. Les deux dictateurs partagent ainsi cette inhumanité sans limite, avec un échec définitif pour l’un, Hitler, et pour l’autre la constitution d’un nouvel empire validé par les Alliés à Yalta et qui subsistera jusqu’en 1989, malgré la déstalinisation officialisée en 1956.
Goebbels, quant à lui, est un jusqu’au-boutiste absolu, même s’il a également cherché des ouvertures vers les Anglais. Son fanatisme l’a entraîné au suicide le lendemain de celui d’Hitler et d’Éva Braun ; suicide avec son épouse Magda, qui, quelques heures auparavant avait fait empoisonner au cyanure leurs 6 enfants âgés de quatre à douze ans.
Pendant qu’Hitler vit cloîtré dans son bunker près de la Chancellerie, certains généraux de la Wehrmacht ont alors cherché à éviter la capture de leurs troupes par les Soviétiques. Ainsi, environ 1,8 million de soldats parvinrent à se replier vers l’ouest, préférant se rendre aux Alliés. Dans le chaos, les flux de réfugiés allemands se mêlèrent aux unités en déroute, préludant les mouvements qui furent imposés par les Soviétiques après le 8 mai. La souffrance – réelle – des civils allemands durant cette période eut des effets multiples dont le fait d’endosser assez rapidement le statut de « victimes », alors même que le soutien au nazisme fut quasi unanime au moins jusqu’à la chute de Stalingrad en février 1943. Une autre conséquence fut l’effondrement du pays au fur et à mesure de l’avancée des Alliés, y compris les Russes. La résistance était acharnée, mais cessait dès la capture des villes ou les redditions d’unités. En fait, le Werwolf, le corps franc créé en septembre 1944 par Himmler, n’eut que peu d’impact réel. L’assassinat le 25 mars 1945 de Franz Oppenhoff, le nouveau Bürgermeister d’Aix-la-Chapelle à la demande des Alliés, fut l’opération la plus spectaculaire du Werwolf. Au fur et à mesure de l’avancée des troupes anglo-saxonnes à l’ouest et russes à l’est, très peu de faits de résistance eurent lieu, la principale activité se limitant à des filières clandestines pour exfiltrer des dirigeants nazis principalement vers l’Amérique du Sud.
Le suicide d’Hitler le 30 avril marque la chute finale du Reich, même si les combats se sont poursuivis encore une semaine pour aboutir à la capitulation sans condition le 7 mai à Reims, puis signée à nouveau à Berlin tandis que l’administration nazie subsiste jusqu’au 23 mai, avec l’arrestation de l’amiral Donitz, désigné président du Reich le 1er mai, à Flensburg, près de la frontière danoise.
Quatre-vingts ans après la fin du nazisme, l’horreur reste intacte face à la barbarie voulue sciemment par Hitler et longuement consentie par les Allemands, largement endoctrinés depuis 1933. Les cent derniers jours du régime nazi ont été une longue descente aux enfers pour un Reich qui se voulait millénaire.