Deux auteurs très différents, un docteur en droit et un officier des armes, travaillant au sein même de structures militaires planifiant les programmes d’armement de l’Armée de terre française ont uni leurs savoirs, non pour décrire un avenir dans lequel une telle interdiction des armes de destruction massive a peu de chance d’être acceptée et mise en œuvre, mais pour inciter chercheurs, responsables politiques et dirigeants, militaires bien sûr, à réfléchir à la notion d’éthique de la guerre et aux conséquences qui résulteraient d’un abandon de l’effort de régulation de cette vaste panoplie d’armes, qui s’enrichit chaque année dans les guerres à venir.
Depuis les « temps modernes », disons depuis les guerres de religion, la guerre réglée est restée le privilège des États souverains qui n’ont cessé de limiter les enjeux de la guerre et de cantonner la violence dans certaines limites. La guerre régulée a permis la création d’un jus in bello, héritage européen du XIIIe siècle, baptisé de « droit des gens ». La régulation de la guerre a résulté de la prise de conscience que l’on avait plus à gagner à adapter l’objectif stratégique à une finalité politique qui demeure un objet de négociation.
Les guerres actuelles, devenues de plus en plus intra-étatiques, se déroulent de plus en plus dans des espaces localisés voire confidentiels : forces spéciales, cyberguerre, usage de drones furtifs, assassinats ciblés… Or, avec l’apparition d’adversaires non étatiques très puissants, conduisant une guerre totalement dérégulée et extrêmement barbare, de nouvelles formes de guerre sont apparues et ont tendance à devenir majoritaires. Les nouveaux guerriers qui s’y livrent ne partagent pas le même système de valeurs. Le risque qui nous guette de plus en plus est donc celui du recul de nos valeurs dans les guerres futures. Confrontées à des adversaires non étatiques, violant ouvertement les règles de la guerre, certaines nations peuvent avoir la tentation de s’engager dans un processus visant à utiliser des moyens cachés et de plus en plus meurtriers, abandonnant ce qui a fait leur dignité. Ce dilemme est encore accentué par le fait que les guerres d’aujourd’hui sont soit des guerres idéologiques, un combat des valeurs, soit une forme de brigandage à visée économique, créant des sociétés guerrières pérennes prospérant dans des zones grises, où les États ne pénètrent plus.
Il n’existe donc évidemment pas et ne peut exister un régime global des armes de destruction massive (ADM), une interdiction unique de mise au point ou d’emploi de ces armes du fait de leur très grande diversité C’est en effet à une pyramide des ADM qu’on a affaire entre l’empoisonnement d’un espion par de la ricine ou le Novitchok et l’arme « absolue » atomique. Comme il est plus facile de produire de l’anthrax (arme « biologique ») qu’une bombe de 10 kilotonnes de TNT, le premier sera jugé plus inquiétant. Le Bacillus anthracis se cultive relativement aisément, résiste à de fortes chaleurs et est très difficile à neutraliser. Chacun sait ce que sont les ADM : NBC ou ABC, nucléaire/atomique, biologique et chimique. Cependant, les guerres météorologiques et les risques environnementaux délibérés sont ignorés. Il faut ajouter au NBC, l’arme radiologique et l’arme explosive de masse. Les auteurs expliquent que s’ils ont préféré le thème d’interdictions moins subjectif que celui de « lutte contre la prolifération des armes de destruction massive », c’est que ce dernier leur est apparu trop général et vague, différent de celui de « l’interdiction ». Bien qu’elle soit abstraite, la notion d’interdiction marque à leurs yeux davantage la transgression punissable que « la lutte », trop vague et indéfinie.
La tentation de nuire par l’emploi de substances chimiques toxiques, industrielles ou militaires par des extrémistes est particulièrement grande. L’éventail des nuisances peut aller d’un simple objectif isolé dans le temps à une attaque de masse selon la nature des agents toxiques utilisés qui sont particulièrement nombreux, polymorphes et pourtant parfaitement connus. Aussi les acronymes « NBC/ABC », « ADM », « ATM », « AT », « NRBCE » sont des appellations qui renvoient à une même réalité. Les « ATM » (« armes de terreur de masse ») réservent d’autres modes de terreur à mesure qu’apparaîtront de nouvelles armes. Une surveillance et l’étude des nouveaux agents chimiques ou biologiques, par exemple, s’avèrent donc indispensables et récurrents. Quant à la notion de « nouveaux moyens de guerre », elle fait allusion aux « progrès de la science et de la technique [qui] peuvent ouvrir de nouvelles possibilités en ce qui concerne la modification de l’environnement ». La destruction massive de l’écosystème n’est aucunement une lubie écologique. L’espoir immense du triple objectif de non-prolifération (non-accroissement du nombre, de la répartition géographique et de la puissance des armes), de maîtrise des armements et de désarmement (NRBCE), qui devrait conduire à leur totale élimination.
C’est donc à un tour d’horizon très complet auquel se livrent les auteurs, qui commencent par rappeler des grands principes et acquis du droit du désarmement, passent en revue les divers instruments portant sur l’interdiction des armes nucléaires, en se penchant particulièrement sur le controversé traité d’interdiction des essais nucléaires (TIAN). Ils exposent aussi avec clarté la question de l’interdiction des armes chimiques, dont on a vu l’extrême sensibilité de l’affaire Skripal à l’affaire Navalny. Les vecteurs missiles et drones ne sont pas oubliés, comme le sont les utilisations belligènes de l’intelligence artificielle. L’examen approfondi de ces questions les conduit à faire le bilan des organisations internationales, ONU, AIEA OIAC, G7… De nombreuses annexes techniques des guerres d’Irak, aux différentes conférences enrichissent le contenu de ce livre d’une lecture, souvent ardue, mais combien nécessaire, abordant tant de questions, fourmillant de remarques et propositions.