Quatre-vingts ans après, la défaite de 1940 continue de susciter débats et interrogations. Le colonel Rémy Porte (er), ancien officier référent histoire pour l’Armée de terre, spécialiste de l’armée française des deux guerres mondiales se propose dans son dernier livre de corriger les idées reçues (et il y en a !) et de revenir aux faits. Constitué d’une trentaine de courts chapitres permettant de faire à chaque fois le tour de la question, l’ouvrage se révèle d’une lecture passionnante. Nous n’évoquerons ici que quelques-unes des questions soulevées par l’auteur.
Rémy Porte nous montre notamment comment « dès 1933, les présidents du Conseil et les commandants en chef ne préparent pas la prochaine guerre… mais la précédente, la Première Guerre mondiale : un conflit long, exigeant un effort de formation et une montée en puissance progressive de la mobilisation industrielle et de l’outil militaire. » La phase de guerre défensive devait durer jusqu’en 1941, laissant le temps à l’industrie de produire les armements nécessaires. L’entrée en guerre prématurée révèle des dotations en armement incomplètes, notamment en ce qui concerne les armes antichars.
Contrairement à ce que l’on peut lire parfois, nous explique-t-il, les gouvernements de Front populaire n’avaient pas désarmé la France mais au contraire lancé un effort militaire conséquent sous l’influence d’Édouard Daladier. Le réarmement français commence à peine à faire sentir ses effets en 1938-1939, sans que son retard ne puisse être rattrapé à temps.
Constituant une « formidable réalisation technique, dont certains équipements étonnent encore aujourd’hui par leur modernité », la ligne Maginot n’a toutefois pu être réalisée qu’au détriment de l’armée de campagne. Les sommes énormes engagées contraignent ainsi la France à adopter une stratégie défensive. De toute façon, pour l’immense majorité de la population, la défensive était la seule option possible. L’époque se caractérise par ce pacifisme de l’opinion publique, conforté par l’antimilitarisme du parti communiste. En août 1939, le pacte germano-soviétique divise ainsi le parti communiste français. Plusieurs cas de sabotage dans les usines d’armement sont d’ailleurs signalés.
Les huit mois de la « drôle de guerre » (3 septembre 1939 – 10 mai 1940) ne permettent pas de rattraper le retard accumulé dans le réarmement alors même que l’inaction des troupes entraîne une baisse du moral et un abus d’alcool. Par contre, ainsi que le relève l’auteur, « tandis que les comédiens du théâtre (français) aux armées multiplient les spectacles dans les unités, l’armée allemande se réorganise, s’équipe et s’entraîne. »
Du côté français, deux secteurs manquent de matériels modernes : la défense antiaérienne et les communications. La défense antiaérienne française ne compte ainsi que quelques dizaines de batteries héritées de la Première Guerre mondiale. Il en est de même au niveau des transmissions. Alors que notre haut-commandement craint le manque de discrétion de la radio et privilégie la téléphonie (utilisant le réseau du temps de paix), complétée par des messages télégraphiques et l’emploi d’estafettes, les Allemands dotent leurs généraux de véhicules tactiques équipés d’émetteurs-récepteurs. Le rythme imposé aux opérations à partir du 10 mai rend immédiatement caduc le système français. Au niveau tactique, il faut rappeler que la quasi-totalité des chars français n’est pas équipée de radio. Les ordres sont transmis à la voix, par gestes ou aux fanions.
Ces déficiences ont d’autant plus de poids que les styles de guerre sont aussi très différents, et s’appuient sur des traditions culturelles opposées : « Alors que les Français privilégient la ‘‘bataille conduite’’, préparée et planifiée par le haut état-major, et craignent le combat de rencontre, les Allemands prônent depuis le début du XIXe siècle, la vitesse, la surprise, les manœuvres d’ailes et de contournement et laissent dans ce but une grande autonomie de décision aux généraux en campagne. » Finalement, nous explique Porte, « formalisée après coup, la guerre éclair n’est somme toute que l’adaptation de ces principes plus anciens à la guerre motorisée et aux matériels modernes, chars et avions. »
Au niveau opératif, lorsque l’attaque allemande se déclenche, la France est quasiment seule. Entre les armées britanniques, belges, hollandaises et françaises, il n’y a « ni accord d’état-major, ni planification en amont, ni interopérabilité. » L’aide humaine et matérielle que Londres apporta à Paris en mai 1940 fut ainsi inférieure de moitié à celle de la Grande Guerre.
Et le commandement ? Le 10 mai, lorsque l’attaque allemande se déclencha, le gouvernement avait déjà l’intention de limoger le commandant en chef, Maurice Gamelin. La décision fut remise à plus tard pour ne pas changer de capitaine au milieu de la tempête mais elle survint une semaine plus tard après la percée de Sedan. « D’une grande intelligence, fin et subtil, (Gamelin) n’était sans doute pas fait pour être généralissime du temps de guerre », juge le colonel Porte. « Homme de compromis, refusant de taper du poing sur la table, (il) aurait sans doute fait un excellent diplomate ou un délicieux cardinal »…
Une excellente synthèse et une mise à jour historiographique qui est tout à fait bienvenue pour les quatre-vingts ans de la bataille de France.