Le 18 août 2015, Khaled Al As’Ad, conservateur du musée de Palmyre, est assassiné par Daech, alors qu’une grande partie des vestiges de la ville antique sont détruits. Après l’avoir quelque peu oublié, le monde entier découvre alors que cette région, qui est encore en ce moment à feu et à sang, participe du patrimoine commun de l’humanité. C’est donc tout le mérite de ce nouveau volume de la belle collection Mondes Anciens de chez Belin de nous faire découvrir l’âge d’or du Proche-Orient romain.
L’auteur, Christine Saliou, professeur d’histoire romaine à l’université Paris 8 et directeur d’études à l’EPHE, nous présente un Proche-Orient inscrit dans la longue durée, de la création de la province romaine de Syrie à la conquête islamique, soit sept siècles. Rappelons que c’est en 64 av. J.-C., que Pompée crée la province romaine de Syrie sur les décombres de l’empire séleucide et que la chute de Césarée de Palestine en 641 apr. J.-C. marque la fin de la conquête islamique du Proche-Orient romain.
Précisons d’emblée que le mot « Proche-Orient » est parfois ambigu. Il faut le distinguer du Moyen-Orient dont il ne constitue qu’une partie, située entre la chaîne du Taurus au nord et la mer Rouge au sud. Le Proche-Orient peut être considéré comme un « croissant fertile » enserrant des zones arides. L’objectif est d’étudier, pour elle-même, une région considérée comme périphérique par les spécialistes de l’Antiquité classique, c’est-à-dire de « déplacer le regard du centre vers la périphérie ».
Au contact de la Perse et de la péninsule Arabique, le Proche-Orient, intégré au monde romain pendant ces sept siècles, constituait un espace de transit pour les marchandises venues d’Inde ou de Chine, en particulier la soie. L’oasis de Palmyre est notamment remarqué par l’activité caravanière de ses habitants.
Après nous avoir rappelé comment s’est construit le Proche-Orient romain, l’auteur retrace, dans une vaste perspective géo-historique, l’évolution politique, culturelle et économique de ce territoire, en évoquant notamment les différentes communautés qui le peuplent, leurs modes de vie, l’organisation de la vie civique. On est frappé également par la complexité de la gestion de l’eau (qanâts, aqueducs et citernes géantes).
Apparaît immédiatement une grande diversité linguistique, avec l’araméen, l’hébreu, le grec, le latin, le syriaque, l’arabe, le palmyrénien... L’araméen est une langue suprarégionale (il est utilisé par l’administration perse achéménide (« araméen d’empire »), mais c’est aussi la langue vernaculaire des Juifs de Judée (l’hébreu étant leur langue écrite, surtout culturelle et religieuse). Au sud du Proche-Orient, les Nabatéens parlent arabe. Les places respectives de ces langues évoluent au fil du temps et au début de l’Antiquité tardive, le syriaque concurrence le grec.
On rencontre la même diversité dans le domaine religieux avec un extraordinaire foisonnement de cultes de nature et d’origine diverses (parfois même à l’échelle d’un village). On y remarque encore la vitalité des cultes polythéistes (cf. sanctuaire de Bêl à Palmyre). L’auteur évoque longuement la transformation du judaïsme et l’émergence du christianisme.
De magnifiques illustrations et un grand nombre de cartes originales mettent en lumière ce récit historique précis et fouillé qui ne laisse pas de côté l’évocation de villes mythiques comme Palmyre, Massada et Pétra, et de grandes figures historiques comme la reine Zénobie de Palmyre, ce qui fait de ce gros volume à la fois un livre d’histoire et un livre d’art. ♦