Le général Dietrich von Choltitz (1894-1966) est issu d’une vieille famille militaire. Aspirant en avril 1914, il termine la guerre sous-lieutenant après trois blessures. Admis à rester dans la Reichswehr, il est en 1939 chef de bataillon au 16e régiment d’infanterie aéroportée qui se distingue lors de la prise de Rotterdam. À la tête de cette dernière unité, il protège les puits de pétrole de Ploiesti au printemps 1941, puis combat en Crimée, avant de participer à la prise de Sébastopol l’année suivante. Fin 1942, Choltitz commande un corps d’armée blindée autour de Stalingrad, puis sert en Italie et en Normandie, où son unité, le 84e corps d’armée est anéanti.
Il est nommé gouverneur de Paris le 7 août 1944 par une décision personnelle d’Hitler. Ses forces sont notoirement insuffisantes : quatre chars, une vingtaine d’automitrailleuses, un unique bataillon mobile d’infanterie et une trentaine de points d’appui dont les liaisons s’interrompent avec le lancement de l’insurrection. Devant l’avancée alliée, Choltitz reçoit, peu après sa nomination, l’ordre de faire sauter 62 ponts de Paris et de sa région. Un autre ordre d’Hitler lui enjoint, en outre, de « transformer Paris en un monceau de ruine ». Il n’en fera rien, ce qui lui a certainement évité de passer en jugement après la guerre.
Il se propose dans le cadre de ses mémoires, publiées en 1950, sous le titre Brennt Paris ? (« Paris brûle-t-il? »), qui fait référence à la question qui lui fut posée personnellement par Hitler, de « dégager le grave problème de l’obéissance », c’est-à-dire de « dégager les limites de l’obéissance et du commandement ».
Au-delà de cette question d’ordre éthique et philosophique, qui fait l’objet des derniers chapitres, ses mémoires sont particulièrement pertinentes si on les prend telles qu’elles sont, c’est-à-dire comme un récit sans prétentions particulières d’un officier supérieur allemand plongé dans la Seconde Guerre mondiale, qui évoque au passage les opérations auxquelles il a pris part et les réflexions qui lui sont alors venues à l’esprit.
Certaines sont particulièrement actuelles. Faisant référence aux débuts de la République de Weimar, Choltitz remarque notamment : « Alors, comme aujourd’hui, l’officier apparaissait comme le représentant d’une époque révolue, qu’on ne saurait rencontrer sans la plus grande méfiance. »
Il nous livre un peu plus loin une réflexion sur la notion de militarisme et nous explique que « la Wehrmacht avait été intentionnellement et systématiquement empêchée d’exercer une influence politique. » Ainsi, continue-t-il, « l’armée était un objet pour Hitler et le demeura jusqu’à la catastrophe finale, en aucun elle n’exerça une influence sur les événements », ce qui conduit Choltitz à réfuter, au nom de la Wehrmacht, l’accusation de militarisme, en considérant par contre que « Hitler et son entourage immédiat étaient incontestablement militaristes ».
La « drôle de guerre » nous vaut la description d’une armée allemande qui profite de chaque instant de repos ou d’inactivité pour s’entraîner et s’instruire, à la différence de ses adversaires. Malgré tout, dès l’automne 1941, von Choltitz ne se berce plus d’illusions sur l’issue de celle-ci.
Sa participation aux opérations autour de Stalingrad, à la fin de 1942, le conduit à évoquer les armées alliées de l’Allemagne. En effet, avant l’encerclement de Stalingrad, de nombreuses divisions allemandes avaient été retirées de la boucle du Don et transférées dans le cœur de la ville où elles s’usèrent lentement mais sûrement en combat urbain. Dès lors, le reste du front n’était plus tenu que par des divisions italiennes, hongroises et roumaines qui cédèrent rapidement sous l’assaut soviétique ce qui donne à von Choltitz l’occasion de nous livrer quelques commentaires sur la valeur combative de chacun. Il estime en particulier que les formations hongroises étaient dotées d’un équipement tout à fait insuffisant, surtout dans le domaine antichar. De même, selon lui « le corps des officiers avait reçu une formation tactique, où l’on trouvait les méthodes de l’ancienne armée impériale. » Les soldats hongrois, par contre, « n’étaient pas sûrs ». Quant aux Italiens, « ils avaient un matériel moderne, mais leur combativité ne résistait pas à des coups tant soit peu durs. Leur tempérament méridional les faisait tomber très rapidement d’un mordant offensif impétueux dans un désarroi complet et dans la panique. La conduite tactique du commandement italien ressemblait à celle de nos armées du début du siècle. Des concentrations d’hommes sur le champ de bataille rappelant le Moyen Âge sont responsables de pertes sanglantes d’une ampleur inouïe. » Les unités roumaines enfin, avaient reçu du matériel allemand, en particulier des mitrailleuses et des armes antichars. « La formation des cadres roumains était de tradition française, le commandement avait un caractère schématique, lent et peu mobile. » Lors de la bataille autour de Stalingrad, les états-majors roumains « se révélèrent totalement incapables et ne tardèrent pas à disparaître de la zone des opérations. En revanche, l’officier et le soldat des unités n’étaient pas mauvais... Quelques formations, dont un grand nombre de formations d’artillerie, étaient de valeur exceptionnelle. »
Sur un plan plus général, Choltitz estime que l’exigence de capitulation sans conditions décidée par les Alliés à la conférence de Casablanca a peut-être coûté un million d’hommes en suscitant une résistance à outrance.
Il critique au passage les modalités de recrutement de la Waffen-SS et des divisions d’infanterie de la Luftwaffe qui conduisirent selon lui à priver l’armée de terre des meilleurs éléments.
Comme l’Italien Douhet deux décennies auparavant, Choltitz est sensible au fossé qui oppose l’arrière et le front, et remarque que « plus une guerre dure, plus le divorce s’établit entre l’esprit de l’arrière et celui du front ». Ceci le conduit à une méditation sur la guerre aux accents quelque peu nietzschéens : « de tous temps, et sans doute en restera-t-il ainsi, l’élite d’un peuple se trouve au front, tandis que les soldats de l’arrière de tous grades se recrutent parmi des hommes de seconde catégorie ».
Les mémoires se terminent par un chapitre sur l’histoire de l’Allemagne, l’idée prussienne de l’État par contraste avec le national-socialisme et la notion d’obéissance. Choltitz en appelle finalement (en 1950) à une Union européenne destinée à rapprocher les peuples. ♦