Ce grand volume réunit une cinquantaine d’articles déjà publiés dans le magazine Guerres et histoire par une dizaine de contributeurs, plus quelques articles inédits, sur le thème de l’armée allemande au combat pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage commence par « ancrer la Wehrmacht dans son passé prussien et impérial, qui lui a légué, d’une part, une culture militaire originale, d’autre part, une faiblesse de la pensée opérationnelle et, plus encore, stratégique ».
Cette culture militaire, qui a permis d’aboutir à une certaine excellence tactique, était basée sur la recherche de la mobilité alliée à un véritable culte de la vitesse, sur la cohésion des unités et surtout sur un style de commandement orienté vers la mission (Auftragstaktik) qui laissait une large autonomie de décision aux cadres. Jean Lopez admet ainsi, mais on s’en était déjà rendu compte à la lecture d’un certain nombre de mémoires de généraux allemands, que « contrairement à ce que l’on croit, la désobéissance, la contestation, la résistance à la hiérarchie sont plus fréquentes dans la Wehrmacht que dans toute autre armée ».
La culture militaire allemande, qui vient d’être décrite, présente aussi des points faibles comme le primat absolu donné au combat de destruction, hérité de Clausewitz et la négligence relative de la logistique et du renseignement.
L’histoire de la Prusse explique largement cette attitude. La Prusse était un pays pauvre, grand comme une province française, « la boîte à sable de l’Europe » ironisait-on au XVIIIe siècle. Ses faibles ressources expliquaient la nécessité pour elle de recourir à des guerres « courtes et rapides », ainsi que le soulignait Frédéric II. D’où la recherche de la bataille décisive, souvent une bataille d’encerclement, conformément à ce qu’on a pu appeler la « religion du Kessel ». L’exemple type est cette véritable obsession du feld-maréchal von Schlieffen pour la bataille de Cannes (216 av. J.-C.). Benoist Bihan relève ici « le défaut majeur de l’art militaire allemand : pensé tout entier en fonction de la bataille, il montre ses limites dès lors qu’il faut s’inscrire dans la durée ».
On le verra très vite lors de la campagne sur le front de l’Est. Les premières victoires sont dues à une forte supériorité tactique allemande (dès novembre 1939, l’armée de terre allemande avait tiré les conclusions de la campagne de Pologne et soumis ses unités à un entraînement intensif), tout autant qu’aux faiblesses organisationnelles soviétiques (« c’est la déconnexion entre l’objectif politique de Staline – ne pas provoquer Hitler – et la doctrine hyper-offensive de l’armée rouge qui est la véritable racine du désastre de 1941 », nous explique l’historienne américaine Cynthia Roberts). Le théoricien militaire soviétique Gueorgui Isserson avait d’ailleurs prévenu que l’élément-clé du Blitzkrieg était la réalisation de la mobilisation, de la concentration et du déploiement de la plus grosse part des forces dès le premier jour des hostilités. Il n’avait guère été écouté.
Mais la mise en œuvre de l’opération Barbarossa se heurte à d’énormes problèmes de logistique. Les Soviétiques ont détruit des centaines de kilomètres de rails et emporté dans leur retraite 18 000 locomotives sur 20 000. La plupart des camions allemands, de provenances diverses, tombent en panne à cause de l’état des routes. L’ensemble de l’armée allemande a besoin de 29 trains de carburant par jour ; en novembre, il n’en arrive que 3. Pour l’historien allemand Andreas Hillgruber, « la question logistique est, sur le plan militaire, la plus décisive des causes de l’échec de l’opération Barbarossa ».
Les auteurs n’oublient pas de traiter, avec tout autant de pertinence et de talent, du front de l’Ouest à partir de 1944, ni de la guerre aérienne au-dessus du Reich. Richement illustré grâce à plus de 150 photos, et autant d’illustrations et de cartes, ce (grand) livre (23,5 x 29,5 cm) fera certainement référence dans l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale. ♦