En octobre prochain, le conflit afghan – au moins dans sa deuxième version – aura duré vingt ans. C’est-à-dire pour les États-Unis qui en ont été les principaux protagonistes, plus que la guerre de Sécession, les deux guerres mondiales réunies, ainsi que la guerre du Vietnam. Bien sûr, le coût humain comme financier pour Washington (1 000 milliards de $) a été moins lourd ; mais on peut s’interroger sur les résultats réels d’une telle intervention. En réalité, le « pays de l’insolence » ou le « cimetière des Empires » est en guerre depuis près de quarante-trois ans. On peut ainsi se demander s’il est près de connaître la paix et quelle paix.
En grandissant, l’auteur se souvient qu’il y avait un sentiment de fierté d’être Afghan. Sentiment inculqué par ses parents, mais aussi par son environnement. Avant les guerres et le chaos des trente ou quarante années passées, avant ce jour sombre d’avril 1978 où les communistes prirent le pouvoir, l’Afghanistan, bien que pauvre en richesses mesurables, était pour la plupart de sa population fière et heureuse.
Assem Akram né à Kaboul, a obtenu un doctorat d’histoire à La Sorbonne et vit aujourd’hui aux États-Unis. Il a écrit plusieurs ouvrages en français dont Histoire de la guerre d’Afghanistan. Il a participé à la résistance contre l’intervention soviétique et occupé diverses fonctions pendant cette période, y compris chef de bureau de l’un des partis de la Résistance afghane en France, conseiller au cabinet du Président intérimaire et diplomate.
Assem Akram a donné un cours sur les questions afghanes pendant cinq ans à l’École de Service International (SIS) de l’American University à Washington. C’est donc que son témoignage revêt un grand intérêt. Il y met une dose d’analyse, quelques tranches d’histoire, une portion de vie réelle, un zeste de socio-psychologie, un grain de pensée non conventionnelle : c’est la formule particulière de son ouvrage qui utilise une approche multicouche pour comprendre l’Afghanistan. Son originalité est d’aborder les questions d’une manière qui permette au lecteur de faire le lien, de mieux comprendre et apprécier comment et pourquoi certaines choses se passent de cette manière en Afghanistan, et non pas de la façon dont on les attendait. Au fil des ans, il a appris qu’afin de comprendre l’Afghanistan aujourd’hui, il faut appréhender non seulement son histoire et sa culture, mais aussi les dynamiques de la société et des individus qui la composent.
Lorsque l’Union soviétique envahit le pays au mois de décembre 1979, ce fut un immense choc à travers le monde, et d’abord pour les Afghans. Dans son cas, il s’est retrouvé en exil à Paris, où son père était le dernier ambassadeur non communiste avant de quitter son poste. Kaboul était une petite ville avant les changements sismiques imposés par les guerres successives. Jusque-là, la plupart des gens se connaissaient. Après un riche parcours, il a quitté son poste de diplomate en 1993 car les groupes qui faisaient partie du gouvernement de coalition à Kaboul s’opposaient férocement dans les rues de la capitale. Son souhait était de travailler pour le gouvernement – l’institution – et non pour des individus ou leurs milices qui se le partageaient. Il a alors refusé de reprendre du service avec le groupe de moudjahidines – le Front National Afghan de Libération – avec lequel il avait collaboré avant l’effondrement du régime communiste, car il ne semblait plus avoir un agenda clair et ses positions fluctuaient selon les caprices de son dirigeant.
Une des raisons principales des mésaventures et des conflits sans fin de l’Afghanistan conclut l’auteur, a été l’interférence d’argent aux motifs politiques provenant de sources étrangères. C’était le cas pour la plupart des Afghans, la source du financement importait peu tant que c’était en apparence pour la bonne raison et provenait de soi-disant « amis de la cause », qu’ils fussent des États, des organisations ou des individus, toujours prêts. Il demeure d’usage pour les groupes afghans rivaux de se tourner vers des interlocuteurs extérieurs, ayant le pouvoir de l’argent, pour financer leurs objectifs politiques et leurs guerres à l’intérieur. Ils ne se demandent jamais si c’est bien ou mal. C’est devenu la pratique depuis la fin des années 1970, et aujourd’hui cela a atteint une ampleur sans précédent. Les talibans et beaucoup d’autres acteurs, petits ou grands, se sont appuyés principalement sur des soutiens étrangers pour alimenter leurs combats.
Dans une société à court d’argent, dans laquelle l’économie productive a plus ou moins cessé avec le début des guerres en 1978-1979, il est commode de se laisser tenter par l’argent « facile ». Mais il y a un prix à payer pour accepter ce genre de soutien financier : il est devenu difficile pour les organisations ou les particuliers d’y résister et de trouver des solutions alternatives pour financer leurs luttes politiques sans vendre leur âme au diable.
Ainsi, si les communistes n’avaient pas cherché l’aide de Moscou dans leur effort pour écraser toute opposition, si le Mollah Omar avait dit non à Al-Qaïda et au Pakistan, si Haqqani et Hekmatyar avaient dit non à l’ISI, si Karzai avait dit non aux États-Unis et à l’Otan.., il est concevable que l’Afghanistan aurait pu atteindre la stabilité, et les Afghans, ainsi que la communauté internationale, en auraient été bien mieux lotis.
L’Afghanistan et les Afghans ne représentent pas seulement un défi, un véritable casse-tête, pour les étrangers, les envahisseurs de fortune et les « amis », mais aussi pour les Afghans eux-mêmes et leurs dirigeants. Combien de leaders sont tombés parce qu’ils n’ont pas réussi à atteindre le point d’équilibre délicat, presque magique, qui leur aurait permis de durer et de quitter le pouvoir sans être tués ou éjectés manu militari ?
De toute évidence, un pays pris au piège dans une situation de conflit depuis 1978, où le gouvernement est en proie à la corruption, où plusieurs types d’insurrection se sont développés, où la sécurité nationale repose encore sur un contingent étranger qui, à son sommet, avait atteint quelque 150 000 hommes, où plus d’un millier d’Organisations non gouvernementales (ONG) et des dizaines d’organisations internationales tentent de combler le vide d’un gouvernement inefficace, où les élections sont généralement sujettes à caution et où les opiacés sont la source principale de revenus, a pour le moins de sérieux problèmes.
Cet ouvrage nous permet de mieux comprendre comment et pourquoi l’Afghanistan a traversé tant de traumatismes dans son passé récent. Mais il ne nous indique guère par quel miracle le pays se sortira de ce cercle infernal. Mais qui le sait et qui le peut ? ♦