« La Renaissance florentine fut, à l’échelle de l’histoire occidentale, un instant miraculeux : au cœur d’une cité réduite à 50 000 habitants par la peste noire, apparut en effet, en l’espace de trois générations, ce qu’il fallait d’hommes de lettres, de philosophes, de philologues, d’artistes et d’architectes pour la faire briller aux yeux de l’Europe entière, comme la “nouvelle Athènes”. »
Le Quattrocento représenta en effet ce moment privilégié du XVe siècle où Florence devint véritablement le berceau de l’humanisme européen.
À partir de 1293, date de l’exclusion de l’aristocratie de la vie publique, plusieurs familles industrieuses s’y disputèrent violemment le pouvoir. Florence réussit alors à s’affirmer comme une « République » bourgeoise où une multitude de conseils permettait, en principe, d’éviter que le pouvoir y fut confisqué par une personne ou une faction. À cet égard, l’ouvrage de Jean-Yves Boriaud décrit très précisément, dans l’un de ses premiers chapitres, les institutions républicaines florentines, ainsi que la vie politique qui en résulta aux XIVe et XVe siècles, s’extrayant progressivement des controverses qui opposèrent longtemps guelfes et gibelins. On y remarque une structure politique compliquée basée sur des conseils restreints de faible durée désignés essentiellement par tirage au sort.
L’auteur nous gratifie également d’un paragraphe passionnant sur le fonctionnement d’une banque florentine et l’utilisation des lettres de change comme support du commerce international. C’est alors l’Église en général, et la papauté en particulier, qui sont les plus grands utilisateurs du système bancaire. Entre 1397 et 1420, la curie romaine est ainsi à l’origine d’une bonne moitié des profits de la banque Médicis, avec des transferts de fonds ou la perception de la dîme. La filiale romaine, attachée à la curie, avait d’ailleurs un statut un peu particulier : elle ne disposait de bureaux à Rome que lorsque le pape y était en résidence. Le reste du temps, elle le suivait dans ses pérégrinations.
Après la révolte des ciompi (les ouvriers de la laine) en 1378 et la contre-révolution où s’illustra Salvestro de Médicis, l’année 1397 marque les véritables débuts de la banque Médicis, « support et point d’appui, un siècle durant, de la saga familiale » sous l’égide d’un cousin de Salvestro, Giovanni, le véritable fondateur de la dynastie (mort en 1429).
Mais c’est véritablement Cosme dit « l’Ancien » (1389-1464) qui incarnera la mainmise de la famille sur Florence. C’est un véritable érudit, marqué par une éducation latine et grecque et par la philosophie de Platon, parlant le français et l’allemand. Il restructure la banque et privilégie, autour de la maison-mère, un réseau de filiales étanches, dirigées par des associés de confiance et où la famille Médicis conserve la majorité.
Le coup de génie de Cosme, qui allait bouleverser l’image de Florence, fut de « convertir sa culture originelle marchande et banquière, en une autre bien plus prestigieuse dans l’Italie du temps, cette culture philosophico-artistique de haut niveau qui sera sa marque devant l’histoire ». En 1459, Cosme fonde ainsi une véritable académie néo-platonicienne autour d’un jeune érudit, Marsile Ficin (1433-1499). Cette quête philosophique s’intégrait alors dans le grand mouvement de réappropriation des savoirs antiques qui caractérise la Renaissance italienne.
Florence est redevable à Cosme de trois bibliothèques. Le mécène encourage le travail d’un certain nombre d’artistes, dont le peintre Filippo Lippi, l’architecte et sculpteur Donatello (1386-1466), les architectes Brunelleschi (1377-1446) et Michelozzo (1396-1472), son élève.
Après la mort de Cosme se déroulent quelques années sans éclat sous l’égide de son fils, Pierre dit « Le Goutteux », Médicis de transition à qui son père avait confié quelques missions diplomatiques pour le préparer au gouvernement. Pierre représenta ainsi Florence en 1447 au moment de l’intronisation du pape Nicolas V, puis en 1450 lors des cérémonies du Jubilé, toujours à Rome, avant de se rendre la même année à Milan auprès de Francesco Sforza. Il fut responsable de la constitution du réseau d’alliances qui présida à la paix de Lodi en 1454.
Dans les années 1460, la banque Médicis commence à décliner après une série de prêts hasardeux consentis par les filiales. On assiste alors à une réduction des transactions financières suivie d’un resserrement du crédit.
Pierre continua malgré tout sur la voie humaniste de Cosme, notamment en choisissant les enseignants titulaires de l’Université de Florence, le Studio.
Son fils Laurent, dit le Magnifique (1449-1492) reçoit également une éducation humaniste. Son précepteur est un ecclésiastique, Gentile Becchi, futur évêque d’Arezzo, qui sera plus tard, en 1483, envoyé comme ambassadeur à Paris auprès du nouveau roi Charles VIII. Laurent lui-même, dès sa dix-septième année, en 1466, représente la République à Milan puis à Rome, pour y plaider devant le pape Paul II la cause de Galeazzo Forza, allié important de Florence. Dès cet âge, rappelle Boriaud, Laurent est un bon connaisseur des réalités diplomatiques italiennes et sait « y peser la valeur des alliances et des amitiés ».
À partir de 1462, Laurent eut le privilège de fréquenter l’académie de Careggi où enseignait Marsile Ficin. Si la fréquentation des peintres ou des sculpteurs ne semble pas l’avoir beaucoup marqué, il développe très vite avec la musique une relation privilégiée, suivant ainsi en ce domaine les recommandations de Ficin. Laurent a mis en œuvre malgré tout une véritable politique artistique dans le souci de la grandeur de Florence. Il a aussi œuvré à « exporter » les talents locaux.
Proches de l’helléniste Ange Politien, Laurent et son frère Julien restaurent l’université de Pise, ville vassale de Florence, et relancent celle de Florence. Ils organisent un partage des enseignements : à Florence la philosophie et la philologie et à Pise la théologie, la médecine et le droit.
Par contre, l’éducation purement commerciale de Laurent et de son frère Julien avait été quelque peu négligée et Laurent lui-même avouait parfois qu’il « n’y entendait rien ». Nombreux sont ceux qui ont relevé à cet égard son absence du sens des affaires et sa tendance à confondre fonds privés et fonds publics. Il en était donc souvent réduit à déléguer à des directeurs dont la compétence laissait parfois à désirer. Après la conjuration des Pazzi (1478), la banque Médicis donnait ainsi le sentiment de prendre l’eau de toutes parts.
Laurent instaure la fête comme instrument de pouvoir, son objectif étant, dans les mots de Machiavel, de « garder l’État dans l’abondance, le peuple uni et la noblesse honorée ». L’année 1472 comporte ainsi 18 fêtes.
De 1472 à 1478, on assiste à une constante opposition entre les Médicis et le pouvoir pontifical incarné dans la personne de l’austère franciscain Sixte IV della Rovere. Florence, appuyée sur l’alliance milanaise, est également en état de belligérance avec Naples. Le rôle international joué par Laurent fut magnifié notamment par Guichardin qui estima que celui-ci avait su maintenir en Italie un équilibre salutaire entre les États, de manière qu’aucun ne parut favorisé.
Pierre, dit « Le Malchanceux » (1472-1503) prend la succession de Laurent. Il est trop jeune hélas pour avoir bénéficié « de cette expérience diplomatique nécessaire, selon les critères du temps, avant une accession au pouvoir ». Il laisse la direction des affaires publiques à son secrétaire et la charge de la banque familiale, qui de toute manière allait mal, la plupart de ses filiales étant fermées, à son grand-oncle Giovanni Tornabuoni.
En 1494, le roi de France Charles VIII décide de reprendre possession du royaume de Naples. Pierre s’oppose initialement au passage des troupes françaises par Florence avant de céder. Il perd alors le pouvoir. Il trouve finalement la mort en 1503 lors de la bataille du Garigliano où il combattait du côté français.
Avec l’élection de Giovanni de Médicis, le fils de Laurent, en 1513, « ce n’est plus la banque qui gouverne la destinée des Médicis, mais la papauté ». Le nouveau pape Léon X place son neveu Lorenzo, devenu pour l’occasion duc d’Urbino, à la tête de Florence. En 1523, ce sera au tour de Giulio, le fils de Julien de Médicis, de devenir pape sous le nom de Clément VII. ♦