Quelque peu tombée dans l’oubli aujourd’hui, la conspiration des quatre sergents de La Rochelle sous la Restauration a véritablement cristallisé l’opinion libérale, puis républicaine, alors qu’à aucun moment les conspirateurs n’ont manifesté la volonté de renverser la monarchie. Celle-ci, à l’apogée du mouvement des ultras, se considéra toutefois comme directement menacée et sa réaction fut à la mesure de cette crainte, ce qui explique que la répression fut sévère et brutale.
Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire à la Sorbonne, spécialiste de la période napoléonienne et du XIXe siècle, nous retrace ici avec brio le déroulement de cette affaire ainsi que ses conséquences politiques et évoque comment la mémoire des condamnés s’est perpétuée.
La conspiration est indissociable d’un mouvement éphémère, la Charbonnerie, société secrète née en Italie et introduite en France au début de 1821, qui est souvent confondue avec un autre mouvement de cette époque, l’« Association des chevaliers de la liberté ». Dans de nombreux cas, les autorités ne font d’ailleurs pas de différence entre les deux mouvements. La Charbonnerie séduit l’élite des libéraux du temps, Lafayette, Benjamin-Constant, Dupont de l’Eure, Voyer d’Argenson… Elle rencontre un vif succès dans l’armée. Plus de 40 % de ses membres sont d’ailleurs des militaires.
Les quatre sous-officiers, Bories, Pommier, Goubin et Raoulx appartenaient au 45e régiment de ligne, lequel se trouvait temporairement cantonné à La Rochelle au moment où ils furent dénoncés comme carbonari. Condamnés à mort par une cour d’assises, ils furent guillotinés à Paris en place de Grève le 21 septembre 1822, puis enterrés dans une fosse commune afin d’éviter que ne se développe un culte à leur mémoire. Leur exécution laisse des traces profondes dans l’opinion publique et creuse un fossé insurmontable entre la monarchie et ses opposants. Quelques-uns de leurs camarades furent condamnés à des peines légères d’emprisonnement, d’autres, plus nombreux, furent acquittés. Ces derniers furent malgré tout transférés dans d’autres régiments ou chassés de l’armée, les autorités militaires ayant voulu ainsi effacer toute trace de la conspiration.
La réaction des autorités se révélera finalement efficace et cette affaire marquera la fin de la Charbonnerie française. On relève cependant qu’aucun des hauts responsables de l’organisation ne fut inquiété alors que leurs noms étaient connus de tous…
La plupart des carbonari de 1822 qui furent acquittés ou condamnés légèrement, ainsi leurs jeunes avocats, feront malgré tout de belles carrières sous la Monarchie de Juillet ou le Second Empire.
On se permettra ici deux remarques générales que la lecture du livre nous a inspirées. La première concerne la facilité avec laquelle, à plusieurs reprises, le commandement militaire a été informé de la conspiration et de l’identité de ses participants. On ne peut ainsi qu’être frappé par le nombre d’informateurs présents au sein de la Charbonnerie, signe de l’apparition d’une culture de la délation ou bien d’un attachement réel à la monarchie ?
La société secrète démontre ensuite et surtout une troublante incapacité d’agir, que ce soit pour lancer l’insurrection prévue et qui était censée chasser les Bourbons, ou même tout simplement pour faire libérer leurs quatre membres condamnés à mort. Leurs frères sont présents place de Grève et assistent en masse à l’exécution, attendant un ordre d’agir qui ne viendra jamais…
Le livre consacré par Jacques-Olivier Boudon à cette affaire, qui s’appuie sur un certain nombre d’archives inédites, fera référence. Outre le rappel du contexte politique et le récit détaillé des événements, il comporte une bibliographie complète ainsi qu’un très utile « répertoire des acteurs de l’affaire de La Rochelle » de près de 70 pages qui récapitule les éléments biographiques de tous les protagonistes, grands ou petits, et pourrait constituer en soi la base d’une enquête sociologique. ♦