Si la question du statut exact du 11-septembre dans l’histoire des relations internationales reste disputée (le 11-septembre a-t-il ouvert une nouvelle ère dans l’histoire des relations internationales ou n’a-t-il fait que révéler les potentialités « crisogènes » d’un nouvel ordre mondial né entre 1989 et 1991?), force est de constater que ces attaques ont fortement et durablement marqué la conscience collective de la planète, changeant du tout au tout la perception des enjeux stratégiques qu’y nourrissaient États et nouveaux acteurs transnationaux.
À telle enseigne qu’imprécisions factuelles, thèses fantaisistes ou même théories « complotistes » se sont répandues. Et ce d’autant plus rapidement qu’elles faisaient fond sur un événement dont la dimension apocalyptique avait frappé les imaginations. Le système médiatique contemporain est apte à donner un retentissement disproportionné aux réflexions d’individus isolés, ces dernières fussent-elles les élucubrations d’esprits déstabilisés par le choc émotionnel d’un événement si médiatisé ou plus prosaïquement de pseudo-experts en mal de notoriété.
Aussi l’ouvrage de l’amiral (2S) Alain Denis (membre du Centre d’études prospectives stratégiques) présente le grand mérite, 10 ans après ces tragiques attaques, d’établir un catalogue précis des faits, à la lumière des investigations menées par la commission d’enquête américaine. Écrit d’une plume alerte, le livre retrace en une petite dizaine de chapitres le déroulement des attaques, leur gestion par le pouvoir politique, la manière dont les décisions qui leur ont été consécutives (guerre d’Afghanistan, puis guerre d’Irak) ont été prises. Des précisions bienvenues de vocabulaire sont apportées, montrant par exemple toute l’ambiguïté d’expressions toutes faites, comme celle d’« Arme de destruction massive », induisant une confusion entre la puissance inégalée du feu nucléaire et d’autres types d’armes, certes susceptibles de causer d’importants dégâts mais douées d’une tout autre nature politico-stratégique. Suit alors un ensemble de chapitres plus analytiques où l’auteur présente, avec une constance qui l’honore, sa vision personnelle de l’échiquier international, son appréciation sur la légitimité de la guerre d’Irak, ainsi que sa critique de l’attitude de la France lors de cette guerre pourtant décidée par Washington sur un mode unilatéral et sans l’aval initial du Conseil de sécurité des Nations unies.
L’auteur nous permettra sans doute de ne pas partager certaines de ses thèses sur l’Irak, ses liens supposés avec Al-Qaïda, son éventuelle détention au début des années 2000 d’armes NRBC en quantité significative, ainsi que de ne pas être totalement convaincu par l’appréciation qu’il donne du niveau de la menace sur un Occident de moins en moins monolithique – si tant est qu’il l’ait été un jour. On pourra également regretter l’emploi d’un vocabulaire parfois quelque peu suranné (abus du terme « évolué » rapporté à des populations ou des peuples, trahissant peut-être un certain occidentalo-centrisme et une vision excessivement linéaire de l’histoire). Il n’en demeure pas moins que dans ce livre, l’amiral Denis aborde avec une grande clarté nombre de questions que les tragiques attaques du 11-septembre incitent à se poser : celle du poids croissant des phénomènes religieux dans les relations internationales, celle de la pertinence ou de l’impropriété de la grille d’analyse civilisationnelle, ou encore celle des limites de la solidarité des alliances internationales.
À l’heure de la douloureuse commémoration décennale de ces attentats qui ont bouleversé la perception de la scène internationale, nul doute que l’ouvrage de l’amiral Alain Denis apporte une contribution appréciable au débat stratégique français, en nous livrant une excellente synthèse des travaux de la commission américaine, à laquelle se joignent des analyses plus personnelles ; mais qui ne sauraient laisser indifférent, ne serait-ce que par leur écart vis-à-vis du courant d’interprétation prédominant, en France comme dans de nombreux autres pays.